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GODEFROID DE FONTAINES

plus déterminé et le plus marquant était, sans doute, Godefroid de Fontaines.

Les premières discussions quodlibétiques de Godefroid de Fontaines doivent être à peu près contemporaines de celles de Richard de Middleton[1] ; Henri de Gand disputait depuis huit ans environ ; il était alors dans tout l’éclat de sa renommée.

Prenons, une à une, les thèses essentielles d’Henri de Gand, dans l’ordre même où nous les avons exposées, et voyons quel démenti Godefroid de Fontaines oppose à chacune d’elles.


A. L éternité du monde.


La première que nous ayons rencontrée est celle-ci : Prétendre que le monde existe de toute éternité, c’est nier la liberté de l’arbitre de Dieu, car ce qui existe éternellement existe aussi nécessairement.

Godefroid se pose, à son tour, cette même question : Le monde a-t-il pu exister de toute éternité ? Des deux raisons qu’il donne en faveur de la négative[2], la seconde n’est guère qu’une variante de la première, et la première est celle qu Henri a développée :

« S’il était possible que le monde eût été, de toute éternité, créé par Dieu, il serait impossible qu’il ne l’eut point été ; ce serait donc d’une manière necessaire qu’il tiendrait de Dieu son existence ; ce qui est, en effet, existe nécessairement tandis qu’il est ; de même, ce qui fut exista nécessairement tandis qu’il était. »

Contre cette doctrine vraiment aristotélicienne, Godefroid reprend purement et simplement celle qui sert de fondement à la Métaphysique d’Avicenne : « Ce qui constitue la créature[3], c’est que son existence, elle la tienne d’autrui qui la lui a donnée, non pas à partir de quelque chose, mais à partir de rien ; qu’en elle, l’existence succède à la non-existence dans l’ordre de nature, en sorte qu’elle ne possède pas, par elle-même, l’existence, mais plutôt la non-existence ; l’existence, elle la tient d’autrui, en tant qu’elle est un effet du premier principe. »

Godefroid ne voit donc rien, en l’existence d’un monde créé do toute éternité, qui puisse contredire à la liberté du choix divin :

  1. P. Mandonnet, O. P. Les premières disputes sur la distinction réelle entre l’essence et l’existence (1276-1287) (Revue Thomiste, t. XVIII, 1910).
  2. Les quatre premiers quodlibets de Godefroid de Fontaines édités par M. De Wulf et A. Pelzer (Les Philosophes Belges, Textes et Études ; t. II, Louvain, 1911), Quodlib. II, quæst. III : Utrum mundus sive aliqua creatura potuit esse vel existere ab æterno ; p. 68.
  3. Godefroid de Fontaines, loc. cit., p. 71.