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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

(convenientia) avec un autre élément ne peut pas être la même que la forme par laquelle il en diffère. Or, les éléments ont, en commun, la forme par laquelle ils sont substance et celle par laquelle ils sont corps, mais ils diffèrent par leurs formes complètes ; en chaque élément, donc, autre est la forme corporelle, autre la forme complète. »

À ces raisons, voici ce qu’il faut opposer : « Ces parties de la définition dont parle le Philosophe, ce ne sont pas des parties qui existent en la réalité, mais seulement des parties qui existent en la raison. C’est la même chose qui est désignée par le genre, puis par l’espèce, puis par la variété ; mais le genre désigne cette chose d une manière indéterminée, l’espèce d’une manière plus déterminée, la variété d’une manière encore mieux déterminée…

» Toutes les variétés d’un même élément désignent la même forme, mais considérée tantôt sous un certain rapport et tantôt sous un autre ; une variété plus générale qu’une autre désigne la forme tout entière ou l’essence tout entière, mais en la déterminant d’une manière plus générale ; une variété plus restreinte désigne la même forme ou essence, mais en la déterminant d une manière plus spéciale.

» Entre les éléments, il n’y a rien de commun, en la réalité, si ce n’est une matière semblable ; lorsqu’un élément, en effet, est engendré aux dépens d’un autre élément, il y a résolution jusqu’à la matière première. Mais lorsqu’on dit qu’ils ont en commun la propriété d’être substance ou celle qui les fait corps, cela se doit entendre d’une communauté qui existe seulement en la raison. Cela veut dire que, par sa forme, la matière du feu possède le caractère substantiel et le caractère corporel d une manière comparable à celle par laquelle la matière de l’eau reçoit, de la forme qui lui est propre, les mêmes caractères. »

On ne saurait mieux dire qu’Avicébron, et Roger Bacon après lui, ont été dupes d’une illusion qui leur a fait réaliser de pures abstractions.

Roger Bacon s’est complu à assimiler les formes universelles, les matières universelles, les composés universels, aux formes, aux matières, aux composés individuels. Il est clair que l’antiréalisme de Richard de Middleton ne saurait s’accomoder d’un semblable rapprochement. Pour lui, la matière individuelle, la forme individuelle, le composé individuel ont, seuls, l’existence réelle ; plus précisément encore, le composé individuel existe seul, réellement et hors de l’esprit ; tout le reste n’est qu’abstraction ;