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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

ter mainte incertitude et mainte complication. Quoi de moins net et de moins précis, en effet, que la séparation entre ces deux degrés d’actualité, dont l’un appartient à la matière et l’autre à la forme ? Où marquer l’exacte séparation entre cette matière, qui est de même essence que le composé, qui est une sorte d ébauche, de larve du composé, et le composé auquel la substance doit sa forme parfaite ? Et cependant, cette notion de matière, que Richard a obtenue, semble-t-il, en s’efforçant de combiner l’idée que saint Augustin et saint Bonaventure avaient mise sons le nom de raison séminale avec la doctrine d’Henri de Gand, va jouer, en la métaphysique de Richard et de ses successeurs un rôle si important qu’il nous faut nous efforcer de la bien concevoir.

En la Métaphysique d’Aristote, on pouvait, par la considération d’une substance unique, arriver à concevoir, en cette substance, ce que l’on pourrait nommer une matière accidentelle ; douée d’une forme accidentelle, celte substance était en puissance de recevoir une forme contraire ; ou bien encore, occupant un certain lieu, elle était, capable d’occuper un autre lieu : ainsi se concevait, par exemple, la matière locale (ὕλη τοπική) des corps célestes. Mais de la matière que l’on eût pu nommer substantielle et qu’Aristote nommait matière première, l’idée ne pouvait naitre que par la comparaison de deux substances dont l’une était engendrée lors de la destruction de l’autre ; elle était le fond permanent, le support qui demeure alors qu’une forme substantielle remplace l’autre.

Il en est tout autrement dans le système de Richard de Middleton ; la matière d’une substance se peut concevoir par la considération de cette seule substance ; elle existerait lors même qu’il n’y aurait au monde que cette substance-là ; elle est, en cette substance, ce qui a le degré d’actualité le plus intime. Que deux substances puissent se transformer l’une en l’autre, Richard n’en conclut pas, comme Aristote, que ces deux substances ont donc une même matière première, et que cette matière demeure en la génération de l’une de ces substances aux dépens de l’autre ; sa pensée est toute différente ; de même que les deux substances considérées sont diverses parce que les formes qui les déterminent sont diverses, de même les matières de ces deux substances sont numériquement différentes, car l’infime actualité que possède chacune d’elles suffit à la distinguer de l’autre ; elles sont seulement de même genre (unigeneæ) ; lorsque l’une des deux substances est détruite et que l’autre est engendrée, il n’y a pas simplement substitution d’une forme achevée à une autre forme achevée ; il