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RICHARD DE MIDDLETON

que celle-ci[1] : « Y a-t-il plus d’actualité en la matière angélique qu’en n’importe quelle forme corporelle ? ».

Cette théorie de la matière tire évidemment son origine de renseignement d’Henri de Gand dont l’in fluence est, partout, aisée à reconnaître. Mais la langue de Richard de Middleton n’a plus la rigueur ni la précision du langage très abstrait qu’employait le théologien, gantois ; elle est plus concrète, plus voisine des communes manières de parler. L’imagination trouve alors de plus grandes facilités pour pénétrer au sein des doctrines métaphysiques, et, partant, pour les rendre hésitantes ou inexactes.

Ce que la matière première peut, en l’absence de toute forme, avoir d’actuel c’est, pour Henri, l’esse simplicüer, l’existence pure et simple exempte de foute autre détermination. A l’actualité infime qu’il considère, Richard ne va pas laisser cette rigide nudité ; il va la revêtir de quelque chose qui se puisse varier et différencier ; nous le verrons mettre des actualités infimes différentes en des matières différentes ; ces actualités seront, pour lui, comme des sortes de formes amoindries.

Lorsqu’Henri mettait en la matière, à côté de l’existence pure et simple, une certaine puissance, il ne voulait pas que I on regardât cette dernière comme la forme en puissance ; la matière, répétait-il avec insistance n’est pas forme en puissance, mais matière en puissance. Richard, au contraire, ne fait aucune difficulté à regarder comme une forme en puissance cette puissance pure qui, en la matière, est unie à l’actualité infime. Bien plus, à cette puissance, il attribue d’avance quelques-uns des caractères de la forme qui la viendra mettre en acte ; nous venons déjà de l’entendre déclarer que, de ces puissances, la plus humble est celle qui peut se transmuer en la plus humble des formes en acte. Dès lors, cette forme en puissance dont quelques traits annoncent déjà ce que sera la forme en acte, n’offre-t-elle pas une grande ressemblance avec celte raison séminale qu’Henri de Gand avait si nettement rejetée ? Richard de Middleton ne lui donne pas ce nom de raison séminale, mais nous verrons, en lisant Gilles de Rome, que d’autres le lui attribuaient. La théorie des raisons séminales, chassée par Henri, était rentrée en Physique grâce à 1 altération d’une doctrine de ce grand philosophe.

Ainsi modifiée et troublée par Richard de Middleton, la théorie de l’actualité et de la puissance de la matière n’est plus en état d évi-

1. Bîcakdï df Media Villa Op. laud., Lib. Il, Dist. III, art, II, quæst. Il éd* cit,T L H, pp. 5o-5i-

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