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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

besoin, les condamnations formulées par Étienne Tempier. En ses connaissances astronomiques, nous avons cru percevoir des reflets de l’Opus tertium[1], et nous pourrions relever d’autres marques qui semblent laissées par la lecture de Bacon. De Saint Bonaventure, l’influence paraît encore plus aisée à reconnaître ; contre l’éternité du monde, par exemple, Richard de Middleton argumente en des termes qui sont presque textuellement ceux dont avait usé le Docteur séraphique ; comment, par exemple, ne pas croire que, des deux passages suivants, le second a été écrit à l’imitation du premier ?

« Cum enim creat animant hanc[2], non mutatur, quia ab æterno dixit aminam hanc nunc creandam. Unde eodem dicto, quo ab æterno dixit, nunc creat ; situ si velle meum esset posse meum ; si vellem modo cras fieri rem, non esset mutatio in me si fieret. »

« Deus produxit mundum[3] non ab æterno sine renovatione suæ voluntatis, quia ab æterno voluit ut mundus crearetur in illo instanti in quo creatus est. Si voluntas mea esset omnipotens, et hodie vellem aliquid fieri cras, illud fieret cras, absque hoc quod in ejus factione oporteret meum velle renovari. »

Cependant, en dépit de l’influence de Bacon et de Saint Bonaventure, en dépit des condamnations portées par Robert Kilwardby et par Jean Peckham, Richard de Middleton est bien loin d’admettre en totalité l’opinion d’Avicébron sur la matière et la forme.

De cette opinion, à dire vrai, il ne garde guère qu’une affirmation, c’est que les créatures intellectuelles telles que les anges, sont composées de matière et de forme[4] . La raison qu’il donne de l’existence d’une matière en la substance angélique est aussi éloignée de la lettre d’Aristote que de l’esprit d’Avicébron.

Les anges sont mobiles, non seulement de mouvement local, mais encore de ce mouvement purement intellectuel qui consiste à prendre une détermination volontaire. En son mouvement, l’ange se meut lui-même ; il faut donc qu’il existe en lui un moteur et un mobile, unis entre eux, mais distincts l’un de l’autre ; c’est la forme de l’ange qui est le moteur et la matière qui joue le rôle de mobile.

  1. Voir : Seconde partie. Ch. VII, § X ; t. III, pp. 484-488.
  2. Sancti Bonaventuræ Collationes in Hexaïmeron, Collatio III, 6 ; édit, cit., t. V, p. 344.
  3. Ricardi de Media Villa Quæstiones super quatuor libros Sententiarum ; Lib. II, Dist. I, Art. III, quæst. IV ; éd. cit., t. II, p. 19.
  4. Ricardi de Media Villa Op. laud., Lib. II, Dist. III, Art. I, quæst. II ; éd. cit., t. II, pp. 51-52.