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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Lors donc que nous nous élevons jusqu’à cette intelligence, elle nous permet de contempler l’essence intelligible ; par des intuitions simples et indivises, nous saisissons les genres simples, fixes et indivis des êtres. Mais au delà de cette intelligence si digne de nos respects, il nous faut, de l’âme, éveiller ce qui en est la suprême subsistance même (αὐτὴ ἡ ἄκρα ὕπαρξις τῆς ψυχῆς) ; c’est par elle que nous sommes un ; c’est par elle qu’en nous, la multiplicité acquiert son unité. De même, en effet, que par notre intelligence, nous participons de cette Intelligence [divine] dont nous avons parlé, ainsi du premier Un, par lequel l’unité est en toutes choses, nous avons connaissance par ce qui est notre un et, pour ainsi dire, la fleur de notre essence (κατὰ τὸ ἕν καὶ οἷον ἄνθος τῆς) ; c’est par là surtout que nous nous conjoignons au divin. Toujours, en effet, le semblable est saisi par son semblable, ce qui est objet de science par la science discursive, ce qui est intelligible par l’intelligence intuitive, ce qui mesure les êtres avec la plus parfaite unité par l’un de l’âme (τῷ ἐνὶ τῆς ψυχῆς). De toutes les activités qui nous appartiennent, c’est la plus élevée ; par elle, nous sommes divinisés, nous fuyons toute multiplicité ; en elle, nous concentrons notre propre unité et, devenus un, nous agissons d’une manière une…

» Fuyons donc la dense multiplicité afin d’atteindre à cette fleur de l’intelligence et à notre propre subsistance (τὸ ἄνθος τοῦ νοῦ καὶ ἡ ὕπαρξις ἡμῶν)… Lorsque vous y serez parvenu, vous aurez délaissé toute multiplicité ; monté jusqu’à la source même du bien, vous verrez que le discours que vous venez de lire ne nous apporte pas un mince secours en nous prescrivant de nous enfuir loin de la multiplicité ; en songeant à la multiplicité qui se trouve répandue parmi tous les êtres, vous verrez combien il nous aide à parvenir au salut total de l’âme (εἰς πᾶσαν σωτηρίαν τῆς ψυχῆς). »

Telle est la connaissance de nous-même à laquelle nous conviaient l’oracle de Delphes et Socrate par le célèbre précepte : Γνῶθι σαυτόν. De toutes les connaissances que nous pouvons avoir de nous même, c’est la plus élevée ; « elle est la première, car on se peut connaître soi-même de bien des façons[1]. On se peut connaître du dehors, et c’est ce qui arrive quand on se connaît par le corps. On peut avoir de soi une connaissance politique, celle qu’on acquiert, par exemple, en connaissant la division de l’âme en ses trois parties. On peut se connaître comme purifié, si l’on se connaît délivré des passions. On peut avoir de soi-même une con-

  1. Procli Op. laud., éd. cit., coll. 595-596.