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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

plus que Dieu et lui-même ; ce serait encore la multiplicité ; il faut qu il arrive « à ne rien connaître hors de lui-même, ni Dieu ni créature » ; c’est quand il n’aura plus que cette science absolument simple, quand il ne connaîtra rien en dehors de lui-même, quand « il n aimera plus ni Dieu ni les créatures », que l’homme sera « complètement abîmé et perdu en Dieu », qu’il sera, avec Dieu, « une seule essence et une seule vie ».

La signification de ces paroles semble claire ; ce que l’homme doit rechercher uniquement, c’est ce fond de l’Ame, cet abditum mentis, qui est sa propre nature dégagée de tout accident ; et quand il se sera réduit lui-même à n’être plus que cette nature toute simple, il sera uni à Dieu dans une unité qui exclut toute multiplicité, il sera identique à Dieu ; c’est la pure doctrine d’Eckehart et de lluvsbroec.

Ce fond de l’âme, d’ailleurs, cet abditum mentis, c’est le sujet auquel revient sans cesse l’enseignement de Tauler ; dans le passage suivant, il nous dira qu elles influences dirigent cet enseignement.

« Un grand nombre[1] de docteurs anciens et modernes ont écrit beaucoup sur cette partie la plus noble de l’âme. Albert le Grand, Maître Thierry, Maître Eckehart lui ont donné différents noms. Lun 1 appelle une étincelle, un autre un centre de l’existence, un troisième (c’est Albert le Grand) l’image de la Sainte Trinité.

» Or cette étincelle, pourvu qu’elle ne soit pas étouffée, monte si haut que notre intelligence ne peut plus la suivre. Et, en effet, elle ne s’arrête pas avant d’être arrivée au fond de la Divinité d’où elle est sortie et dans lequel elle était avant même d’être formée ».

Voilà, clairement énoncée, l’erreur que Gerson reprochait à Ruysbroec ; par la contemplation de l’intime fondement de sa nature, l’homme peut ramener son existence créée à l’existence idéale qu’il eut, de toute éternité, dans le Verbe de Dieu, partant, à ne faire qu’un avec Dieu même.

Tauler a demandé certains éléments de sa doctrine à des docteurs chrétiens qu’il nous fait connaître, Albert le Grand, Thierry de Freiberg, Eckehart ; mais il a lu aussi des auteurs païens.

« Il n’est pas douteux, poursuit-il[2], que les théologiens qui ont écrit sur ce sujet n’aient, par leur vie et leur étude, puisé cette doctrine dans la très pure vérité elle-même et qu’ils ne l’aient i

1. Jean Tauler, Deuxième sermon pour /e /reirté/ne climancAe après la Trinité (Œuvres de Tauler, éd. cil., t IV, kjii, pp. 5o-5i).

2. Jean Tauler. loc. cit., pp. 51-60.

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