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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

lui tous les biens. En dehors de lui, il n’y a rien. Par lui, les créatures ont leur essence, leur bien ; il ne tire rien des créatures. Or il faut en dire autant de ce qui est divin, qu’il s’agisse de l’homme, d’une œuvre ou d’un mode. Tout mode, en effet, en tant qu’il est divin, n’a rien en dehors de lui-même ; mais il possède en lui-même tout bien, sans largeur ni longueur, et cela simplement, essentiellement et en toute vérité. En lui, rien d’étranger, rien d’éloigné. »

Les docteurs catholiques les plus orthodoxes eussent sans doute contresigné ces paroles si elles ne contenaient un mot qui surprend ; c’est le nom de l’homme, mis à côté des opérations divines et des modes divins, comme s’il en partageait l’indivisible unité ; ce mot laisse déjà percer la doctrine d’Eckehart, au gré de laquelle l’homme n’est pas distinct de Dieu.

Se fondre dans l imité de Dieu, c’est la tendance de l’homme et de toutes les créatures ; Tauler décrit cette tendance en termes qui nous font souvenir de Denys. mais où se remarquent, en outre, des expressions qui rappellent, sans l’affirmer expressément, la théorie d’Eckehart.

« Dieu, dit notre auteur[1], est une essence pure, qui est l’essence de toute essence, sans rien être, cependant, d’aucune autre réalité…

» Sans doute, toutes les créatures ont une certaine bonté, un certain amour, mais elles ne sont ni la bonté ni l’amour. Dieu seul est l’essence de la bonté, de l’amour et de tout ce qu’on peut appeler une essence.

» C’est à lui que l’homme s’appliquera, c’est dans cette essence qu’il se plongera de toutes ses forces et d’une manière active, sensible et contemplative, c est dans cet Etre qu’il immergera son pur néant, pour qu’il y soit renouvelé, vivifié et, si je pouvais m’exprimer ainsi, essentié dans l’essence divine qui est la seule essence, la seule vie, la seule action de toutes les choses créées.

» Après cela, il contemplera la propriété de l’unité de chaque essence. Dieu, en effet, est au terme ultime de la simplicité et de l’unité ; en lui, toute multiplicité est unifiée et réduite à la simplicité, dans son essence uniquement une.

» De plus, son essence est son opération, sa connaissance, sa récompense, son jugement, sa justice, sa miséricorde. Tout cela,

1. Jean Tauler, Quelques exhortations et Conseils. III (Œuvres de Tauler, éd. cil », t, VII, 1912, pp. 309-310),

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