Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/235

Cette page n’a pas encore été corrigée
225
LA DOCTRINE DE PROCLUS ET LES DOMINICAINS ALLEMANDS

homme fort bien doué et très lettré, prit personnellement soin de traduire en latin quelques-uns des livres de Ruysbroec. »

Le même auteur nous apprend que Ruysbroec était mort vingt-cinq ans environ avant le Schisme, donc vers 1353. C’est le 13 mars 1344 qu’il était venu se fixer au Vallon Vert avec Jean de Leuw, Franco de Condenberg et Jean Hinckaert, chanoine de Sainte-Cudule.

C’est du livre De ornatu spiritualium nuptiarum, composé par Ruysbroec, que Jean Gerson extrait, mot pour mot. « ad litteram », quelques propositions qui lui paraissent malsonnantes[1]. « Par la jouissance de l’amour qu’il éprouve en se vidant de lui-même, l’esprit se perd lui-même ; il en vient enfin à recevoir la clarté sans aucun intermédiaire, et, sans entremise, il devient cette clarté qu’il reçoit… Notre être créé dépend de l’Ètre éternel et, selon son existence essentielle, il ne fait qu’un avec lui… Tous ceux qui, dans la vie contemplative, s’élèvent au-dessus de leur propre création, ne font plus qu’un avec la clarté déifique ; bien plus, ils sont eux-mêmes cette clarté ; en eflct, à l’aide de cette déifique clarté, ils se voient, se sentent, se découvrent tels qu’ils sont en leur être incréé, en leur vie incréée ; ils voient que cette même vie est l’abîme simple de la divinité ; il en résulte qu’ils ne font plus qu’un avec cette lumière par laquelle ils voient et qu’ils voient… Tout esprit dévot, lorsqu’un profond épanchement d’amour l’a lait évanouir en Dieu, est un avec Dieu ; il n’est pas un d’une façon quelconque ; mais il est cela même qu’est en soi la propre essence de Dieu, de même façon qu en la vision béatifique… Cet esprit est transporté au-dessus de lui-même ; il est se possède lui-même selon son existence incréée, il voit et goûte les immenses richesses qu’il possède de la même manière que Dieu les voit et les goûte. »

Jean de Schoenau peut bien prétendre que ces formules ont seulement pour but de faire entendre l’inexprimable ressemblance que notre âme acquiert avec Dieu, de l’union quelle contracte avec lui « par l’amour qui la liquélie et par l’excès de la contemplation extatique. » Sous les métaphores, nous découvrons sans peine autre chose que l’affirmation de cette ressemblance et de cette union ; très clairement, nous y reconnaissons certaines propositions essentielles de la doctrine de Maître Eckehart.

1. Epislola Johaxnis me Gerson ad fratrem Bartholomæum Cartfmsiensem super terftam parlent libri Ruïshuoech de ornatu spiritualium nuptiarum (Jobannib Gerson Opéra, éd. cit., pars 1, XV).

  1. 1