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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Maître Eckehart, le 13 février 1327, pouvait bien, dans un sermon où il reniait les erreurs dont on l’accusait, déclarer[1] : « Je n’ai jamais prêché qu’il y a dans l’âme quelque chose d’incréé ! » Il avait bel et bien enseigné qu’ « il y a dans l’âme une lumière, une étincelle qui est incréée et incréable. » Et ce n’est assurément pas sans raison que, dans la doctrine communément attribuée au Dominicain allemand, le pape Jean XXII condamnait cette proposition[2] :

« Dans l’âme, il y a quelque chose d’incréé et d’incréable ; si toute l’âme était telle, elle ne serait ni créée ni créable ; ce quelque chose, c’est l’Intelligence. »

De l’Intelligence active, identique à l’abditum mentis, Thierry de Freiberg faisait une créature, image totale du Verbe considéré comme modèle de l’Univers entier ; évidemment, par un bond nouveau et plein d’audace, Maître Eckehart l’identifiait au Verbe lui-même.

Qu’Eckehart le jeune se soit rangé à l’opinion de son frère, ce que nous avons cité de lui ne permet guère d’en douter. D’autres l’adoptèrent également et, parmi ceux-ci, nous devons citer Jean Ruvsbroec.

Un admirateur de Ruysbroec, Jean de Schoenhau, écrivait à.Jean Gerson, qui avait critiqué le traité intitulé : L’ornement des noces spirituelles[3] :

« L’auteur de ce livre ne fut pas, comme le suppose Maître Gerson, un idiot et un homme sans lettres ; le Chancelier était, en cela, mal informé ; c’était un prêtre, fort agréable à Dieu je l’espère ; il fut le fondateur et le premier prieur d’un monastère de chanoines réguliers, appelé le Vallon Vert, dépendant du Brabant et du diocèse de Cambrai, et situé dans la forêt de Soignes, non loin de la fameuse ville de Bruxelles.

» Il ne rédigea pas sa doctrine en latin, mais en allemand ; en effet, bien qu’il fût d’un savoir assez compétent, ce savoir, cependant, n’était pas tellement éminent qu’il lui eut permis de présenter la doctrine dont nous parlons en un latin si bien composé et en un style si élégant, à moins que Dieu ne l’eût doué, dans ce but, d’un don spécial. Mais plus tard, pour le plus grand profit de toutes les nations, un frère du même monastère, qui était

1. H. Dbmiflr, âctea Prowsse Afeister Eckeharls ; oc. cil., p, 63a.

2. H. Denifle, Op. laud., p. 639.

3. Libellas Jratris Johannis de Schoenhayia qui nititur dejendere quædam dicta fratris Johann is Ruysbroech contra magistram Jokanne/n de Gerson eaneellariuni parrhisienseni (Jomànsis Gerson Opéra t Parrhisiis, apuri Tri botes, per Joannem Knobloucb, MDXIV. Pars 1, XVI).

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