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LA DOCTRINE DE PROCLUS ET LES DOMINICAINS ALLEMANDS

Mais des accidents sont, par définition, choses qui n’adhèrent pas à la substance et qui s on peuvent détacher ; l’homme peut donc se débarrasser de ces différences accidentelles qui font de lui tel ou tel homme, il peut se dépouiller de son individualité, se fondre dans l’espèce humaine, devenir l’homme en soi ; par cette opération, toute semblable à celle que les brahmes poursuivent dans leur rêveuse méditation, il deviendra identique au Verbe de Dieu fait homme.

Au point de départ de ce système, nous retrouvons le procédé logique (s’il est permis de lui donner ce nom) que nous avons déjà signalé dans la doctrine de Maître Eckehart ; de véritables jeux de mots, abusant de l’amphibologie de certains termes, de l’imprécision. de certaines expressions métaphoriques, identifient des propositions qui, à les bien prendre, avaient des significations toutes différentes ; ces tours de passe-passe se poursuivent avec des allures de syllogisme ; l’Eglise n’eut certes pas tort de condamner les, conclusions d’une telle sophistique.

V

Jean Ruysbroec

Lorsque l’homme se détache de tous les accidents qui le distinguent des autres hommes, lorsqu’il se dépouille de son individualité, il arrive à se fondre dans l’homme en soi, dans la nature humaine universelle. Cette nature humaine universelle, débarrassée de tout ce qui est accidentel, changeant, périssable, c’est le fond de l’âme, cet abditum mentis, où tous les mystiques, abstraits par la méditation des événements de ce monde et de toute préoccupation personnelle, isolent leur contemplation. Ce fond de l’âme, ce n’est pas une chose créée, ce n’est pas même, comme le voulait Thierry de Freiberg, une Intelligence active directement unie à Dieu ; c’est 1 Idée éternelle de l’humanité, c’est le Verbe de Dieu, Dieu lui-même. Lors donc qu’en quittant tous les accidents qui le différenciaient et le personnifiaient, un homme a cessé d’être tel ou tel, Pierre ou Paul, pour n ôtre plus que 1 homme lui-même, il s’est réduit à ce qui est le fond de son âme, son abditum mentis et, dès lors, il est le Verbe de Dieu, il est Dieu. Tel est le principe essentiel de la mystique contemplative professée et pratiquée par les Dominicains allemands.