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LA DOCTRINE DE PROCLUS ET LES DOMINICAINS ALLEMANDS

» Vous me demandez comment nous pouvons en arriver là, devenir le Fils unique de Dieu le Père ? Faites bien attention à ce que je vais vous dire.

» Lorsque le Verbe éternel, notre Dieu, prit la nature humaine, il ne revêtit pas la nature de tel ou tel homme en particulier, mais la nature humaine simple, indivisible, sans image. Or, par cette prise de possession de la nature par le Verbe, c’est bien la nature humaine qui se trouve dans le Fils, elle est bien parfaitement l’image du Père à cause de l’unité de personne. Car enfin le Fils éternel lui-même est l’exemplaire de l’humaine nature. Ainsi donc, de même que celui qui est véritablement Dieu s’est fait véritablement homme, de même, sans aucun doute, l’homme s’est fait véritablement Dieu. Et c’est ainsi que la nature humaine, dans ce qu’elle avait de créé, a été transformée en image divine, en image du Père éternel.

» Si donc nous voulons être les Fils de Dieu, il est indispensable de déposer, de quitter, d’abandonner tout ce qui fait en nous la distinction et la différence. Tel ou tel homme, en effet, Pierre ou Paul, n’est qu’un accident de la nature. Laissons donc de côté tous les accidents, et cherchons à devenir tels que nous sommes dans la nature humaine, libre, indivise et indistincte. C’est cette nature humaine, en effet, dans laquelle nous nous perdons, qui a été prise par le Verbe éternel et qui est devenue le Fils de Dieu le Père. En elle aussi nous devenons le Fils du Père éternel, puisque nous prenons cette même nature qui est devenue Dieu et que nous l’unissons à Dieu par l’amour. »

Dans cette curieuse page, on peut reconnaître, croyons-nous, l’influence de Jean Scot, mais d’un Jean Scot mal compris et déformé.

Selon Jean Scot, pour une créature telle que l’homme, on doit distinguer deux sortes d’existences.

D’une part, se trouve l’existence éternelle à l’état d’idée ou, comme il dit plus volontiers, d’οὐσία ou d’essentia ; cette idée ou cause primordiale de l’homme ne fait qu’un avec les idées de toutes les autres créatures ; toutes ensemble, elles constituent l’Οὐσία suprême, l’Exemplaire éternel de l’Univers créé, le Verbe de Dieu.

D’autre part, se trouve l’homme existant réellement d’une existence temporelle, distincte de l’existence divine ; dans cette existence, l’homme a une certaine forme substantielle, une certaine espèce.

Pour dire comment les créatures temporelles ont été produites