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LA DOCTRINE DE PROCLUS ET LES DOMINICAINS ALLEMANDS

Dieu comme lui, qui lui est égal en toutes choses, et il créa aussi le Monde ».

Dans ce qui précède, nous avons vu Eckehart, à propos du même texte : « In principio Deus creavit » distinguer divers sens du mot principium ; tantôt ce mot désignait le Verbe et tantôt cet invisible présent qu’est l’éternité. Ces deux sens, voici maintenant qu’il les mêle et les entrelace[1] :

« En tant qu’Être, Dieu agit dans l’Être et pour l’Être… Or l’être, c’est le commencement, le début, le principe de toutes choses. Il est donc évident que toute œuvre de Dieu est toujours nouvelle… Dieu a donc créé de telle façon que, néanmoins, il créât toujours. En effet, une chose qui est dans le principe et dont, en même temps, le principe est la fin, débute toujours, naît toujours et, toujours, est déjà née… Dieu a donc créé toutes choses dans le principe, car il les a créées en lui-même, qui est le Principe ; et, d’autre part, il a créé toutes choses en lui-même qui est le Principe, car les choses passées, les choses qui étaient avant aujourd’hui, il les crée comme dans le principe, comme au début. Ces deux caractères font défaut aux autres artisans, qui n’agissent pas en eux-mêmes et qui délaissent leurs œuvres, parce qu’ils cessent d’agir.

» Dieu, en tant qu’être, est le premier et le dernier, le principe et la fin. Donc toute chose qu’il a créée en tant que chose passée, il la crée dans le principe en tant que chose présente, et ce qu’il crée ou lait maintenant comme dans le principe, il l’a également créé dans le passé achevé… Comme, ici, la fin, c’est le principe même, tout ce qui est achevé commence et tout ce qui est déjà né est en train de naître. Dieu a donc [déjà] créé toutes choses, car il ne cesse pas de créer, mais toujours il crée, toujours il commence de créer… C’est ce que signifient ces paroles : « Dans le Principe, Dieu créa le ciel et la terre ». Par cela même, en effet, qu’il achève et finit, il commence, car c’est lui qui est le Commencement, et par le fait même qu’il commence, il finit et achève, car il est, à la fois, le Commencement et la Fin ».

Ce passage nous paraît donner un exemple tout à fait caractéristique de la méthode d’Eckehart ; il construit des syllogismes d’aspect fort rigoureux ; rien ne semble y manquer ; majeure, mineure, conclusion y sont énoncées plutôt deux fois qu’une ; seulement un terme y figure, tel ici le mot principium, qui peut

  1. Magistri Eckardi Opus tripartitum. Præmium (H. Denifle, Op. laud., pp. 540-541).