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LA DOCTRINE DE PROCLUS ET LES DOMINICAINS ALLEMANDS

le Principe », les saints donnent communément l’explication suivante : il les a créés dans son Fils, qui est l’image et la Raison idéale ; et qui nie cette Raison, nie le Fils.

» C’est donc ainsi que Dieu a créé toutes choses dans le Principe, c’est-à-dire dans la Raison ; il a créé chaque chose suivant une raison idéale ; mais c’est à l’aide d une raison qu’il a créé l’homme, à l’aide d’une autre raison le lion, et aussi de chaque créature. »

De saint Augustin à saint Thomas d’Aquin, les docteurs catholiques sont nombreux, qui ont affirmé l’existence éternelle, en Dieu, du modèle idéal de chaque créature, la fusion de toutes ces idées en un Exemplaire unique et l’identité de cet Exemplaire avec le Verbe de Dieu. En revanche, les « Saints » dont Eckehart s’autorise sans les nommer, les « Saints » qui, pour appuyer cette doctrine, auraient pris les mots : In Principio comme signifiant : « Au sein de la Raison idéale, au sein du Fils de Dieu », ces « Saints », disons-nous, ne nous semblent pas fort nombreux. Si nous exceptons les Kabbalistes qui ont composé le Zohar[1] nous ne voyons personne, sauf Scot Érigène[2], qui ait proposé cette interprétation.

Ce que nous venons de lire dans le Commentaire de Maître Eckehart sur la Genèse ressemble fort, d’ailleurs, à ce que nous avions lu naguère au De divisione Naturæ.

À la vérité, Eckehart semble, en un point, se séparer de l’Érigène ; celui-ci écrit sans cesse que les raisons ou causes primordiales des choses ont été créées par Dieu dans son Verbe ; le Dominicain allemand semble se déclarer nettement contre une telle opinion. « Les raisons des créatures, dit-il[3], ne sont pas des créatures, et elles ne sont pas créables comme telles (ut sic) ; la raison, en effet, est avant la chose et après la chose ; elle est, cependant, la cause originelle de cette chose. Voilà pourquoi c’est par leurs raisons, partant par leurs causes, que les choses changeantes sont connues d’une science immuable, comme on le voit en Physique. La chose extérieure, au contraire, pour ce qui est de son être formel, est changeante, capable d’être, créée et, en fait, créée... En Dieu, les choses sont les raisons des choses. C’est ce que dit saint Jean, dans son premier chapitre : « In Principio erat Verbum, sive Λόγος ». Et saint Augustin dit, [de la Sagesse de Dieu], « qu elle est pleine de toutes les raisons. »

  1. Voir : Troisième partie. Ch. VI, § V ; t. V, pp. 114-122.
  2. Voir : Troisième partie. Ch. V, § ii ; t. V, pp. 45-55.
  3. Magister Eckardus In librum Sapientiæ (H. Denifle, op. laud., p. 605).