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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

elles raisonnables ? Cela se trouve déterminé dans les écrits d’Aristote et de ceux qui ont marché à sa suite, et aussi en ceux de nombreux philosophes italiens [latins]. Mais, jusqu’à ce jour, l’enseignement des Juifs ni des Chrétiens ne s’est soucié de telles questions…

» Les Chrétiens, soucieux de leurs propres âmes, n’ont pas voulu prêter attention aux Ames des cieux ; il leur a semblé que, pour leur profession religieuse et pour leur salut, il n’y avait ni profit à connaître ces Âmes ni dommage à les ignorer. Que le Monde soit ou non un animal unique, que le ciel entier soit un être animé ou bien que les divers cieux soient des êtres animés, ce sont questions que cette nation chrétienne a en horreur et qu’elle regarde comme monstrueuses. Elle est plongée dans la stupeur par cette discussion qui lui est demeurée absolument inconnue et en laquelle elle voit une nouveauté qui ne la concerne en rien…

En cette partie de la Philosophie, se fier à Aristote ou à n’importe quel autre n’offre aucun danger pour la religion, pour la foi. pour la doctrine des Chrétiens. »

Depuis le temps où Guillaume d’Auvergne s’exprimait en ces termes, près d’un demi-siècle avait passé, et, à l’égard des théories sur les Âmes des cieux. la Scolastique latine n’avait plus ni cette ignorance ni ces surprises ni cette indifférence, Guillaume avait, le premier, appelé l’attention des Chrétiens sur ces théories et signalé à la méfiance des fidèles ce qu’elles paraissaient contenir de peu orthodoxe ; peu à peu, on les avait analysées de plus près, et les liens qui les unissent à mainte doctrine hérétique s’étaient de mieux en mieux laissé voir. On se contentait encore de condamner les propositions par lesquelles ces théories contredisaient trop évidemment au Dogme ; mais déjà ta conscience chrétienne éprouvait le désir de les rejeter en bloc ; pour que ce « désir se prononçât, il lui manquait encore une doctrine qui put remplacer les hypothèses abandonnées.

L’éternité du Monde, l’unité de l’intelligence en tous les hommes, la théorie des émanations célestes n’étaient pas les seules erreurs, d’importation arabe, que Guillaume d Auvergne avait combattues ; il avait rudement malmené 1 Astrologie judiciaire, que la Scolastique avait reçue de la même provenance, et qui se réclamait, d’ailleurs, de principes communs au Péripatétisme et au Néoplatonisme. Le fatalisme absolu qui était au fondement même de l’Astrologie ne pouvait être admis par l’Église qui n’a cessé de le combattre. Le De erroribus philosophorum ne manque