en lui-même, car il a créé toutes choses dans l’Être, qui est le Principe, qui est Dieu même.
» Remarquez à ce propos que tout ce que Dieu crée, opère ou fait, il le crée, opère ou fait en lui-même ; car tout, ce qui serait hors de Dieu ou deviendrait hors de Dieu, serait ou deviendrait hors de l’Être ; cela ne pourrait donc ni être, ni même devenir, car le devenir a l’être pour terme…
» N’allez donc pas imaginer faussement que Dieu ait projeté les créatures, qu’il les ait créées hors de lui dans un certain espace infini ; dans certaine étendue vide ; ce qui n’est rien ne reçoit rien, ne peut être ni le sujet, ni le terme, ni la fin de quelque action que ce soit ; si l’on voulait admettre que quelque chose fût reçue par le néant ou eût son terme dans le néant, ce quelque chose ne serait pas un être ; il ne serait rien.
» Si donc Dieu a créé toutes choses, ce n’est pas pour qu’elles demeurassent hors de lui ou à côté de lui ou au delà de lui-même à la façon des œuvres de l’art humain ; il les a appelées du néant, c’est-à-dire que, du non-ctre, il les a appelcés à l’être, être qu’elles devaient trouver, recevoir et garder en lui-même ; car c’est lui-même qui est l’Être
» Voilà pourquoi il n’est pas dit que Dieu a créé à partir du Principe (a principio), mais dans le Principe (in Principio). Comment, en effet, les choses seraient-elles, si ce n’est dans l’Être, qui est le Principe ?
» En résumé, donc, nous résoudrons ainsi, les unes après les autres, les questions qui nous occupent :
» Dieu est l’être par essence ; c’est donc de lui et de lui seul que toutes choses reçoivent l’être. Voilà pour le premier point.
» Puis, hors de Dieu, c’est-à-dire hors de l’Être, il n’y a rien. Dieu donc n’a pas créé ou bien il a créé toutes choses en lui-même qui est le Principe. Voilà pour le second point. »
L’affirmation de Maître Eckehart, si déconcertante soit-elle, est, semble-t-il, absolument claire ; toute créature existe uniquement en Dieu ; son existence n’est pas autre que l’existence de Dieu, laquelle est Dieu même.
Cependant, à cette affirmation, il ajoute celle-ci[1] : « En disant cela, nous n’enlevons pas aux choses leur existence, nous ne détruisons pas l’existence des choses ; nous l’affermissons. »
Pour comprendre la pensée d’Eckehart, il nous faut souvenir de la manière dont Ulrich de Strasbourg et Thierry de Freiberg
- ↑ Magistri Eckardi Op. laud., loc, cit., t p. 546.