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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

pas d’être, mais d’être telle chose ; elle ne lui donne pas d’être un, mais d’être telle chose individuelle ; elle lui donne d’être du feu et d’être un fou individuel ; on en peut dire autant de la vérité et de la bonté. D’ailleurs, cette action même de la forme du feu, cette efficace par laquelle elle donne d’être un feu individuel, véritable et bon, cette forme la possède parce que la Cause première l’a fixée en elle ; c’est ce que dit le Livre des Causes[1] : « Tout ce qu’une Intelligence contient de-fixe et d’essentiel y est par la Bonté pure qui est la Cause première ».

« Par là, nous sommes manifestement convaincus que si un être, un individu existe, s’il est un, s’il est véritable, s’il est bon, il le tient de Dieu ; et chacune des dites propriétés, non seulement tout être la tient de Dieu, mais il la tient immédiatement de Dieu. »

Ce que nous venons d’entendre est bien la doctrine explicite de Proclus et du Livre des Causes ; peu de Scolastiques eussent refusé d’y souscrire ; en revanche, il ne son fût guère trouvé pour ad mettre les corollaires que Maître Eckehart va déduire de ces principes.

Ce texte de la Genèse : « In principio Dens creavit cælum et terram » lui suggère des réflexions parmi lesquelles nous choisirons les suivantes[2] :

« Disons donc que la proposition énoncée ci-dessus prouve :

» En premier lieu, que Dieu même, et Dieu seul, a créé le ciel et la terre, les êtres d’en haut et les êtres d’en bas, par conséquent toutes choses.

» En second lieu, que Dieu a créé dans le Principe, c’est-à-dire en lui-même….

» Le premier de ces points devient évident comme ceci : Créer, c’est conférer l’être (esse). Il ne faut pas ajouter : À partir du néant (ex nichilo), car avant l’être, il n’y a rien. Or il est certain que c’est l’Être et l’Être seul qui confère l’être aux choses, comme la blancheur seule donne d’être blanc. Dieu donc, et Dieu seul, puisque c’est lui qui est l’Être, crée ou a créé….

» En second lieu, que Dieu a créé dans le Principe, c’est-à-dire en lui-même, voici qui le montre évidemment :

» La création donne ou confère l’être. Or l’Être, c’est le Principe ; de toutes choses, c’est ce qui est en premier lieu ; avant l Etre il n’y a rien ; hors de l’Etre, il n’y a rien ; et cet litre, c’est Dieu. Dieu a donc créé toutes choses dans le Principe, c’est-à-dire

  1. Liber de Causis, IX ; fol, 75, col. d, de l’édition décrite au t. IV, p. 331, note 3.
  2. Magistri Eckardi Opus tripartitum, prologus (H. Denifle, Op. laud., pp. 538-541)