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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

de ce qu’elle produit ; la cause ne contracte pas d’union avec ce qu’elle produit.

Il n’est pasde même de l’intelligence active et de l’âme humaine dont elle est la cause essentielle ; par son essence même, elle se conjoint avec ce qu’elle engendre et forme avec elle une substance composée.

Or, toutes les fois qu’une telle union ou conjonction essentielle se produit entre une cause essentielle et l’effet qu’elle a engendré, voici ce qui arrive nécessairement. Toute propriété ou complexion qui, d’une manière complète et achevée, se rencontre dans le composé, se doit également trouver, mais incomplète, dans chacun des deux composants ; elle doit exister à l’état de germe, d’ébauche (inchoative) dans la cause, à l’état de disposition dans l’effet.

Par exemple, toute complexion que présente d’une manière complète et achevée l’homme, composé formé par l’union essentielle de l’âme et du corps, était à l’état d’ébauche dans l’âme, cause essentielle du corps, et à l’état de disposition dans le corps.

« C’est de cette façon que l’intelligence active se comporte à l’égard de l’âme ; la propriété qui constitue l’individuation réside dans cette Intelligence à l’état d’ébauche (inchoative) ; dans l’essence de l’âme, elle se trouve à l’état de disposition ; dans le composé total, elle est à l’état complet ; car des deux premières, de l’intelligence et de l’essence de l’âme, se constitue un être un par essence (unum ens per essentiam). On voit par là qu’à chaque homme particulier correspond une intelligence active particulière, que le nombre des intelligences actives est égal au nombre des hommes, que l’intelligence active, en un mot, est vraiment individuelle. »

Si l’on veut clairement comprendre ce qu’entend Thierry lorsqu’il dit que l’individuation existe à l’état d’ébauche dans l’Intelligence active, à l’état de disposition dans l’essence de l’âme, c’est encore au Livre des Causes, croyons-nous, qu’il convient de recourir.

En toute âme, le Livre des Causes distingue la hyliathis et la forme[1].

La hyliathis, c’est l’existence ou essence (esse ou essentia) dans laquelle réside une disposition à recevoir telle ou telle forme, à la recevoir dans telle ou telle mesure.

Quant à la forme que reçoit la hyliathis, elle préexistait au sein de l’Intelligence qui la confère à l’essence prête à la recevoir

  1. Liber de Causis, IX. Voir : Troisième partie, Ch. I, § II ; t. IV, pp. 344-345.