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LA DOCTRINE DE PROCLUS ET LES DOMINICAINS ALLEMANDS

peut être, en un mot, que l’intelligence active telle que l’ont conçue « Alexandre, Al Fârâbî, Avicenne, Averroès et tous les Péripatéticiens. »

Ce fond de l’âme par où nous sommes attachés à Dieu, c’est donc l’intelligence active ; examinons, dès lors, comment cette Intelligence est unie avec Dieu et comment elle nous est jointe,

L’Intelligence active procède de Dieu comme en émanent les autres Intelligences ; mais ce mode de procession, particulier aux Intelligences, se distingue de celui qui’convient aux autres créatures[1].

Toute espèce créée a sa raison en Dieu ; tout individu créé a, lui aussi, sa raison dans la pensée divine. Une créature particulière est donc, à la fois, par son espèce, l’image de la raison spécifique et, par son individu, l’image de sa raison individuelle, ces deux raisons ayant leur siège en Dieu.

Par de telles propositions, Thierry ne fait que répéter l’enseignement de tous les théologiens catholiques, de saint Augustin à saint Thomas d’Aquin.

Une Intelligence, comme toute autre créature, a sa raison en Dieu et elle est une image de cette raison ; par là, comme toute autre créature, elle est faite à la ressemblance de Dieu. Elle ne l’est pas seulement de cette manière. Chacune des raisons qui sont en Dieu est le modèle, l’idée, d’une créature particulière, espèce ou individu ; mais en outre, Dieu même est le modèle (exemplar) de l’Univers créé pris dans son ensemble. Une Intelligence ne procède pas seulement de Dieu suivant sa raison particulière qui réside en Dieu ; elle est, en outre, image de Dieu en tant que celui-ci est le modèle exemplaire de l’Univers entier.

Les Intelligences, donc, et, en particulier, l’intelligence active « procèdent de Dieu non seulement suivant une raison et de la façon qui est commune aux autres choses, mais encore de telle sorte que chacune d’elles soit une image de Dieu même. »

Si les raisons des choses, tout en résidant au sein de la pensée divine, étaient distinctes de Dieu, la doctrine de Thierry semblerait peut-être aisée à concevoir. Mais, comme tous les théologiens catholiques, notre auteur admet « qu’en Dieu, Dieu même et toute raison qui réside en lui sont même chose. » Dès lors, il devient bien difficile de percevoir la démarcation qui a été établie entre la procession des Intelligences et la production des autres

1. Thlodoiuci de Fiuburgo Tracta tus de intellectu et intelligibili pars II, capp. XXXIII-XXXVI (Engelbert Krebs, Op. laud., pp. 163-1677.

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