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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

« Dans la hiérarchie des êtres, il y a toujours une telle liaison entre ce qui est le plus élevé et ce qui est le plus bas, que ce qui se trouve placé au degré le plus éminent touche ce qui se trouve au degré le plus infime. »

Thierry ne fait qu’étendre à toute hiérarchie ce que Denys avait dit seulement de la hiérarchie ecclésiastique : «  τάξις πρώτη μὲν ἔστι…, ἀκροτάτη δὲ καὶ ἐσχάτη πάλιν ἡ αὐτή. »

Recueillons avec soin l’affirmation que vient d émettre le philosophe de Freiberg ; au xv® siècle, nous verrons Nicolas de Cues reprendre et développer la tradition néo-platonicienne des Dominicains allemands, et sa Métaphysique tout entière prendra pour axiome fondamental la proposition que nous venons d’entendre.

Thierry va donc descendre au plus profond de son intelligence pour y découvrir ce qu’il y a de plus sublime dans la nature humaine.

De cet abditum mentis, c’est à saint Augustin qu’il demande la définition. « C’est, lui dit l’Évêque d’Hippone[1], la partie la plus secrète de notre mémoire ; là s’engendre le verbe intime qui n’appartient à aucune langue ; science de science, vision de vision, intelligence qui apparaît lorsqu’on médite sur l’intelligence, qui existait dans notre mémoire, mais qui demeurait cachée. » Tout aussitôt, cette description arrache ce cri de joie à notre Néo-platonicien ; il y a reconnu l’intelligence active ! « Voyez, dit-il[2], avec quelle élégance saint Augustin exprime comment, cette science, cette vision, cette connaissance qui constituent notre pensée extérieure, tout cc qu’il entend sous le nom de verbe, tout ce qui concerne l’intelligence en puissance après qu elle a été mise en acte, comment tout cela naît de cette science, de cette vision, de cette connaissance qui sont intérieures, qui dépendent de l’intelligence active, et qui sont le fond de la pensée (abditum mentis).

Ce fond de la pensée dont saint Augustin, au De Trinitate, suppose sans cesse l’existence, ce ne peut être[3] qu’une substance dont l’opération intellectuelle est sans cesse en acte ; une substance qui se connaît elle-même par sa propre essence ; qui, d’une seule connaissance absolument simple, connaît toutes choses en même temps et par là même qu’elle se connaît ; ce ne


1. Sancti Aurelii Augustini De Trinitate lib. XV, cap, XXI, art. 40.

2. Theodorici de Friburgo Op lauti. (Engelbert KuebSj O/l Zaud., p* 7-3’)*

3. Thierry de Freiberg, loc. cit., pp. 71-74’*

    Arespagitæ Opéra. Accurante J. P. Migne. T. I (Patrologiæ Græcæ t. III). Coll. 505-506.]

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