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LA DOCTRINE DE PROCLUS ET LES DOMINICAINS ALLEMANDS


D. L’Intelligence active.


Il semble que, parfois, Thierry se soit lui-même effrayé de son audace ; de temps en temps, une courte phrase parait indiquer qu’il voudrait laisser au compte des Philosophes la responsabilité des doctrines, qu’il défend cependant avec tant de fermeté contre le soupçon d’hétérodoxie.

« Tout cela, dit-il[1], a été exposé selon l’avis des Philosophes, sauf meilleur et plus exact jugement, » « Les Intelligences qu’admettent les Philosophes, dit-il ailleurs[2]

À peine sont-elles perceptibles, ces hésitations qu’éprouve Thierry à se déclarer pleinement convaincu par la théorie néo-platonicienne des Intelligences célestes ; elles semblent, d’ailleurs, disparaître entièrement lorsqu’il s’agit d’adhérer à la doctrine de 1intelligence active.

« Selon la thèse des Philosophes, écrit-il[3], telles sont les Intelligences qui ont procédé de Dieu, s’il y en a quelqu’une (si quæ sunt)… Tout ce qui précède convient également à toute Intelligence qui, par sa propre essence, est intellect en acte ; cela convient donc à l’intelligence active, car elle est ce que nous venons de dire ; par sa propre essence, elle est intellect en acte. »

Si Thierry se fie pleinement à l’existence d’une Intelligence active fort semblable à celle qu’avaient imaginée la Théologie d’Aristote, Avicenne, Al Gazâli, c’est que son mysticisme chrétien concourt avec son néo-platonisme pour lui en démontrer i existence et lui en découvrir la nature.

L’Intelligence active, notre Dominicain saxon va la découvrir en lui-même, dans ce fond de l’âme, dans cet abditum mentis où tous les grands mystiques chrétiens cherchaient le trait d’union de l’homme avec Dieu.

Qu’il faille, au plus profond de nous-même, chercher ce par quoi notre nature atteint sa plus haute perfection, Thierry le justifie par des considérations[4] où il invoque la triple autorité de saint Augustin, de Denys et de Proclus ; et ces considérations se condensent en cet axiome du faux Aréopagite[5] ;

1. Theodoricus de Friburgo De Intelligentiis et motibus cælorum, Cap. IV ; ms. cit., fol. 57, col. b.

2. Theodorici de Friburgo Tractatus de mensuris durationis (Engelbert Krebs, Op. laud., p ioo’).

3. Thedorici de Friburgo Tractatus de intellect u et intell igibili ; Secunda pars, cap. XXXIV. (Engelbert Krebs, Op. laud., p. 164).

4. Theodoricus de Friburgo De tribus difjlcilibas articulis. III, De uisione beatifica. (Engelbert Krebs, Op. laud., p. 70’).

5. Dionysh Aheopagitæ De ecclesiasliea hierurchia, Cap. V, § V [Diûnysu

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