Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/204

Cette page n’a pas encore été corrigée
194
LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

à leur durée, comme toute la Scolastique, Thierry donne le nom d’ævum.

Les corps célestes, eux aussi, « selon l’Écriture de vérité », ont eu un commencement, mais ils n’auront pas de lin ; pour dénommer leur durée, qui lui paraît moins simple que l’ætuzm, Thierry crée le mot æveternitas.

À la durée des substances soumises à la génération et à la corruption, Thierry, s’autorisant d’Aristote, assigne pour mesure une période propre (periodus propria) à chacun d’eux.

Le temps, enfin, mesure la durée du mouvement.

Peut-être l’éternité des Intelligences « qu’admettent les philosophes » n’est-elle mentionnée dans le Tractatus de mensuris durationis qu’à titre d’exemple de l’une des formes concevables de la durée ; à cette éternité des Intelligences, Thierry ne donne pas formellement sa propre adhésion ; cependant, en déclarant que la création des Intelligences par Dieu n’a pas eu de commencement et, donc, que les Intelligences sont éternelles, il eût été, certainement, chrétien moins téméraire qu’en leur attribuant la puissance créatrice.

La lecture de ce qu’écrivait, aux confins du xin° siècle et du xive siècle, un Dominicain qui avait enseigné à Paris, mais qui échappait à la suzeraineté de l’Université de Paris, nous explique la rigueur avec laquelle Etienne Tempier et ses conseillers avaient poursuivi la théorie néo-platonicienne de la procession des Intelligences à partir de la Cause première. Ils n’avaient pas bataille contre des chimères ni lancé leurs coups dans le vide.

Le traité De Intelligentiis de Thierry de Freiberg va nous montrer qu’ils ne s’attaquaient pas davantage à des fictions lorsqu’ils condamnaient toute assimilation entre les Âmes des cieux et les âmes des êtres qui vivent ici-bas.

Voyons, en effet, comment notre auteur conçoit les Moteurs conjoints aux sphères célestes, les Âmes dont Avicenne et Al Gazâli n’avaient défini la nature que d’une façon très sommaire.

Comme les Intelligences, les Âmes sont causes essentielles d’autres êtres[1] ; « mais les Intelligences et les Ames ne sont pas des causes essentielles du même genre, qui aient la même manière d’agir ; elles ne coïncident pas les unes avec les autres par la la production du même effet en une même substance.

» La vertu qui appartient aux Intelligences, c’est la vertu qui produit une chose de rien, qui ne la tire pas d’un sujet préexis-

1. Theodorici de FniBunGO De fnlelligenliis. Cap. I ; ms. cil., fol. 56, col. b.

  1. 1