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LA DOCTRINE DE PROCLUS ET LES DOMINICAINS ALLEMANDS

des Causes (Hoc tamen in his omnibus salvo, quod solus Deus creat sicut dicitur in Libro de Causis). Qu’une chose, en effet, procède d’une autre, ce n’est pas création d’une chose par une autre. Créer, c’est produire d’une manière qui ne suppose pas quelque agent précédent et plus élevé en vertu duquel agisse l’être qui produit, dont il tienne son pouvoir d’agir et qui, en même temps que cet être, exerce l’action même qui est exercée par cette cause seconde. En effet, dans une suite de causes disposées suivant un ordre essentiel, toute action produite par une cause seconde est produite en même temps, mais d’une manière plus éminente, par la Cause première ; cela est dit au Livre des Causes et aussi dans la cinquante-quatrième proposition de Proclus[1] : « Tout ce qui est produit par les causes secondes, est produit aussi, d’une façon plus éminente, par les causes qui précèdent celles-là, qui sont plus complètement causes, et par lesquelles les causes secondes elles-mêmes ont été produites ».

Thierry maintient que, douées elles-mêmes du pouvoir créateur, les Intelligences ont été créées par Dieu ; mais, avec tout le Néoplatonisme, il semble admettre que cette création n’a pas eu de commencement.

Le Livre des Causes enseignait[2] que la Cause première et l’Être sont au-dessus de l’éternité ; que l’intelligence est jointe et coétendue à l’éternité : que l’Âme se trouve au-dessous de l’éternité, mais au-dessus du temps ; enfin que les choses changeantes et périssables de ce monde sont dans le temps.

Certainement, cette doctrine du Livre des Causes a inspiré à Thierry ses considérations sur la durée des divers êtres.

Pour lui[3], la mesure de la durée de Dieu se doit nommer : suréternité (superæternitas).

Les Intelligences « qu admettent les philosophes » n ont ni commencement ni fin ; elles sont absolument immuables ; leur durée, c’est l’éternité.

Les Anges ou créatures spirituelles renferment en eux certaines dispositions qui sont susceptibles de changement ; ils n’auront point de fin, mais ils ont commencé en même temps que l’Univers ;

  1. ΠΡΟΚΛΟΥ ΔΙΑΔΟΧΟΥ ΠΛΑΤΩΝΙΚΟΥ Στοιχείωσις θεολογική. éd. Creuzer, prop. LVI ; éd. Francofurti ad Mœnum, 1822, pp. 88-89 ; éd. Parisiis, 1855, p. LXX.
  2. Voir : Troisième partie, Ch. I, § ii ; t. IV, p. 334. Ce texte du Livre des Causes est cité par Thierry dans son traité De esse et essentia (Krebs, Le traité « De esse et essentia » de Thierry de Fribourg, loc. cit., p. 527.
  3. Theodorici de Friburgo Tractatus de mensuris durationis (Engelbert Krebs, Op. laud., pp 100-101).