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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

la théorie que les Néo-platoniciens hellènes avaient imaginée, nue les Néo-platoniciens arabes avaient développée, la théorie selon laquelle les Intelligences célestes émanent les unes des autres. Cette théorie, il en avait acquis une connaissance plus complète que la plupart de ses prédécesseurs ; aux écrits que ceux-ci avaient étudiés, il joignait l’Institutio theologica de Proclus, qu’il cite très fréquemment. Le système métaphysique de Proclus, d’Avicenne, d’Al Gazâli avait, à ce point, séduit notre Dominicain qu’il ne discernât plus nettement ce par quoi ce système est incompatible avec la foi chrétienne ; il en était venu à confondre la notion Néo-platonicienne de création a ver la notion catholique, à soutenir que la théorie selon laquelle les Intelligences, à partir de la Cause première, émanent les unes des autres, sauvegarde le dogme de l’unité du Créateur. Nous l’avons entendu déclarer cette opinion au traité De intelligentiis ; il la formule également, de la manière la plus nette, au traité De intellectu et intelligibili[1].

« La vérité de ce qui vient d’être dit, écrit Thierry, a pour marque ce que les Philosophes ont enseigné touchant l’écoulement des êtres à partir de la Cause première. La connaissance de celte doctrine se peut tirer des premiers et principaux philosophes, c’est-à-dire de Platon et d’Aristote, de Proclus le platonicien, du Livre des Causes ; mais on la reçoit d’une manière manifeste d’Avicenne, en sa Métaphysique ; Algazel en fut labreviateur.

» Ces philosophes ont admis que les choses s’écoulaient de Dieu suivant un certain ordre ; de telle sorte que, de Dieu, procède la première Intelligence ; que, de celle-ci, procède la seconde Intelligence, l’Âme du premier ciel et le corps du premier ciel ; que, de la seconde Intelligence, procède la troisième Intelligence, l’Âme du second ciel et le corps du second ciel ; et ainsi de suite jusqu’à cette Intelligence d’où procèdent l’Âme du ciel infime, le corps du ciel infime et enfin l’intelligence qui est cause des substances soumises à la génération et à la corruption. Cela concorde avec ce qui est dit au commentaire de la quatrième proposition du Livre des Causes et en plusieurs autres endroits de ce même livre.

» Mais, de tout cela, je sauvegarde cette affirmation : C’est que, selon ces philosophes, Dieu seul crée, comme il est dit au Livre

  1. Theodorici de Friburgo Tractatus de intellectu et inlelligibili, Pars prima, Cap. XIm. Confirmatio dictorum per signum (Engelbert Krebs, Meister Dieetrich (Theodoricus Teutonicus de Vriberg) p. 132 (Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Bd. V, Heft 5-6, 1906)].