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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

sorte. L’action de ce Principe plus élevé, action qui lui est propre et qui ne se peut communiquer aux autres êtres, les Philosophes l’appelaient création ; de là cette conséquence manifeste : Bien que les Intelligences, de l’avis des Philosophes, par l’efficace de leur intellect, produisent de rien les autres êtres, on ne doit pas, cependant, les nommer créatrices, et elles ne le sont pas ; en revanche, à cause de l’excellence si grande et à peine croyable qu’a leur pouvoir de connaître, à cause de l’efficace que possède leur pouvoir de produire, le nom d’intelligences est vraiment celui qui leur convient, bien qu’il se rencontre évidemment certaines autres substances intelligentes. »

Thierry accorde donc aux Intelligences le pouvoir de tirer les choses du néant, et non point de les extraire d’une matière préexistante ; à ces choses, elles donnent l’être (esse que Thierry, fidèle à l’exemple du Livre des Causes et à ses propres principes, nomme aussi l’essence (essentia) ; c’est parce qu’elles confèrent ainsi l’existence aux choses qui sont au-dessous d’elles que le Dominicain saxon les nomme causes essentielles ; cette opération, toutefois il ne la regarde pas comme une création parce que l’Intelligence qui l’accomplit use d’un pouvoir qu’elle ne possède pas par elle-même ; ce pouvoir lui est conféré par la Cause première, en sorte que la Cause première seule est créatrice ; soit qu elle crée directement, soit qu’elle crée par l’intermédiaire des Intelligences. À l’appui de cette définition de la création, plus restreinte que celle dont usaient Avicenne et Al Gazâli, il invoque, dès son premier chapitre[1], ce texte du Liber de Causis : « La Cause première a créé l’âme par l’intermédiaire de LIntelligence. »

Cette définition du mot création n’est-elle point dictée par le désir de garder en entier la théorie des processions célestes telles que le Néo-platonisme arabe l’a formulée, sans contredire d’une manière trop manifeste au dogme catholique, qui n’admet pas deux Créateurs ? On pourrait le soutenir avec quelque vraisemblance après avoir lu le chapitre suivant[2] :

« Il nous faut connaître l’ordre que voici :

» L’Intelligence première et suprême procède de Dieu par un acte de création.

» De cette première Intelligence procèdent la seconde Intelligence et l’Ame du ciel le plus élevé ; clics n’en procèdent pas par l’action et par le pouvoir de création, car la création est propre

1. Tijeodorici de Fhihurgo Op. laud., Cap, 1 ; ms. oit. fol— 56, col. b.

2. Theodorici de Friburgo Op. laud., Cap. IV : De ruodo precedent]i ipsas inUllig’eQlias in esse. Ms. cit, fol, 67, coll. a et b.

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