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LA DOCTRINE DE PROCLUS ET LES DOMINICAINS ALLEMANDS

qu’il exposera pour les ruiner seront extraits, presque mot pour mot, du traité De ente et essentia.

Thomas d’Aquin a pris pour mineure d’un de ses syllogismes la proposition suivante, qu’il tient pour évidente de soi : « Toute essence ou quiddité peut être conçue sans que l’on conçoive quoi que ce soit louchant son existence effective. » Bien loin de regarder cette proposition comme évidemment vraie, Thierry la tient pour évidemment fausse : « Quand je conçois un homme, dit-il, je le conçois en tant qu’il possède l’existence actuelle dans la nature des choses. » « Voilà donc un argument qui fait defaut dans son fondement même, »

« Il est un autre raisonnement auquel s’appuient ceux qui veulent montrer que toute essence créée diffère de sa propre existence ; ce raisonnement est le suivant : Tout ce qui participe de quelque chose est différent de la chose à laquelle il prend part ; or toute créature participe à l’existence qu’elle reçoit de celui qui est pure existence, c’est-à-dire de Dieu ; donc toute créature diffère de sa propre existence. »

À cet argument, Thierry riposte en ces termes : « Participer se peut entendre de trois manières différentes.

« En premier lieu, on peut entendre par là qu’une certaine chose (res) est tenue de recevoir quelque chose (aliquid) d’autrui. En ce sens, toute créature participe de l’existence (esse) qu’elle reçoit de la première et pure existence, de Dieu ; mais ce n’est pas seulement de son existence qu’elle participe en cette façon ; c’est aussi de toute son essence (essentia), qui ne diffère pas de son existence. » À l’appui de cette affirmation, Thierry s’empresse d’invoquer l’autorité en laquelle il met toute sa confiance, celle du Livre des Causes. Dès lors, puisque l’essence même d’une chose est reçue de Dieu par participation, le raisonnement de Thomas d’Aquin voudrait qu une chose fût différente de son essence, qui est une conclusion dont la fausseté est évidente.

« D’une seconde manière, le mot participation se pourrait comprendre ainsi : L’essence d’une chose, considérée comme sujet (supposita), reçoit du dehors quelque chose qui entre en composition avec l’essence. » C’est bien, en effet, ce qu’affirment. Avicenne et scs disciples. Pour les réfuter, Thierry n’usera pas d’un discours bien long ni bien subtil. « Si c’est ce qu ils entendent, ma réponse tuera leur affirmation : Aucune créature ne participe à l’existence de cette façon-là. »

Comment donc y participe-t-elle ? De la troisième façon, que Thierry va maintenant définir.