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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

(essentia), essence substantielle s’il s’agit d’une substance, essence accidentelle s’il s’agit d’un accident.

Le terme entité (entitas) comprend exactement tout ce que comprend le mot un être (ens) ; mais ce que ce dernier mot signifie d’une manière concrète, le premier le signifie d’une manière abstraite.

Ce qu’on vient de dire du rapport entre les deux termes : ens, entitas, peut-être le répèterait-on volontiers du rapport entre les deux termes quid, quidditas ; celui-ci désignerait d’une matière abstraite exactement ce que celui-là désigne d’une matière concrète. Cette opinion, Thierry la tient pour erronée ; non seulement il la combat dans son traité De esse et essentia[1], mais il la condamne encore dans un opuscule spécial qu’il intitule : De quidditatibus entium[2].

« Le terme quid, dit notre auteur, implique toute l’essence de la chose, et cela d’une manière concrète. » Quid, c’est donc l’être existant d’une manière concrète, réelle et individuelle ; c’est le τὸ τόδε de Thémistius.

Quand à la quiddité (quidditas), il est bien vrai qu’elle se tire du quid par voie d’abstraction ; mais elle ne signifie pas d’une manière abstraite tout ce que le quid signifie dans le concret ; « elle signifie seulement cet élément formel en vertu duquel la chose est essentiellement quid. — Illud formale quo res est quia essentialiter. » C’est le τὸ τῷδε εἶναι de Thémistius.

L’identité de la disjonction entre le quid et la quidditas, telle que la définit Thierry avec la distinction entre τόδε et τὸ τῷδε εἶναι considérée par Thémistius se montre clairement par les lignes suivantes :

« C’est pourquoi l’on dit communément et avec raison : Dans un être simple, même chose est la quidditas et même chose ce qui est quid (quod est quid). Il n’en est pas ainsi pour un être composé de matière et de forme, car ici c’est la forme seule qui est quiddité. Au contraire, dans les substances simples, chaque substance simple prise en son entier est identique à ce qu’elle est formellement. Aussi le philosophe dit-il, au huitième livre de la Métaphysique, que si un être animé avait seulement une âme, la quiddité, dans cet être animé, et ce dont elle est la quiddité seraient même chose. Mais comme l’être animé est composé

  1. Krebs, op. laud., pp. 522-523.
  2. Engelbert Krebs, Meister Dietrich (Theodoricus Teutonicus de Vriberg). Sein Leben, seine Werke, seine Wissenschaft. Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters, Bd. V. Heft 5-6, Münster, pp. 15-18.