Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Cette solution, Ulrich la demande à la doctrine d’Avicenne.

Avant même qu’elle ait reçu l’existence (esse) une chose est ce qu’elle est (id quod est) ; d’elle-même, elle possède une essence ou quiddité ; cette essence la met à une distance plus ou moins grande de l’Être suprême ; en vertu de cette distance plus ou moins grande, son pouvoir (potentia) à recevoir l’existence se trouve plus ou moins atténué ; c’est donc dans les essences des diverses créatures que réside, pour l’existence uniformément émanée de l’Être suprême, ce principe d’abaissement, de division, de diversité, dont Damascius avait reconnu la nécessité, mais qu’il n’avait point découvert.

C’est à propos de la constitution des intelligences et des créatures spirituelles qu’Ulrich développe cette théorie ; il n’use point des mots essence, quiddité, mais seulement du terme : id quod est ; la dualité qu’il reconnaît en toute âme s’exprime donc par l’ancienne formule de Boëce : Diversum est esse et id quod est ; mais les termes de cette formule, dépouillés du sens que leur donnait la Métaphysique de Boëce, tiennent leur signification de la Métaphysique d’Avicenne.

Après avoir discuté divers systèmes sur la nature des intelligences, notre auteur poursuit en ces termes[1] :

« Bien plus absurde est ce que dit Avicébron ; il prétend que l’intelligence est matérielle ou, en d’autres termes, que par composition essentielle, elle est composée de matière et de forme…

» Pour nous, nous nions que l’intelligence soit composée de matière et de forme ; nous déclarons, cependant qu’elle est composée, et de multiple façon.

» En effet, elle est composée de quod est et d’esse ; car, en elle, autre chose est ce qu’elle est elle-même, autre chose est son existence…

« L’intelligence est donc un individu déterminé (hoc aliquid), composé de la manière que nous venons de dire ; cette composition est celle qui résulte du quod est et de l’esse, grâce à l’existence (esse) créée par la Cause première, et parce qu’elle est (quod est) un être défini (ens ratum) et subsistant par lui-même dans la nature.

» Dans la nature de cette intelligence, il y a deux choses : d’une part, un acte, en tant qu’elle existe par la Cause première,

  1. Udalrici de Argentina Op. laud., Cam 2m tractatus 3ii. De natura intelligentiarum, et de numero et principiis earum essentialibus, et qualiter sit composita et hoc aliquid, et qualiter sit ubique et immobilis, et de diffinicionibus ejus, et de modo ejus intelligendi. Ms. cit, , fol. 303, coll. b et c.