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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

même endroit, que la raison par lui invoquée n’est point nécessaire, mais simplement probable. »

La seconde erreur qui doive retenir notre attention est formulée en ces termes : « Que Dieu ne pourrait créer un autre Monde », Voici comment notre auteur l’expose : « Selon Aristote, tout ce qui est fait, est fait au moyen d’une matière préexistante, Il a donc voulu qu’un autre Monde ne puisse exister. Dieu ne pourrait, dès lors, faire un autre Monde, car celui-ci est formé de toute la matière qui lui appartient. »

Pour la première fois, nous entendons reprocher à Aristote d’avoir regardé comme impossible la pluralité des mondes. Il importe de noter avec soin la première circonstance où cet le accusation se soit produite ; nous verrons, en effet, quelle extraordinaire influence elle a eue sur le développement de la Science positive.

Sévère pour les affirmations erronées qu’il relève avec certitude en l’œuvre d’Aristote, l’auteur du De erroribus philosophorum ne veut point que l’on reproche au Stagirite des opinions qu’il n’a peut-être pas professées ; c’est ainsi qu’un texte du De bona fortuna arrêtera l’accusation de n’avoir pas cru à la Providence.

Les passages où Aristote semble avoir affirmé l’unité de l’intelligence humaine sont obscurs et d’interprétation douteuse ; c’est pourquoi, sans doute, notre auteur n’en fait point état contre le Philosophe. L’unité de l’intelligence humaine sera mise au compte des erreurs d’Averroès.

Pour Averroès, le Tractatus de erroribus philosophorum se montre particulièrement sévère[1]. « Le Commentateur, en effet, a professé toutes les erreurs d’Aristote, et même, il les a professées avec une plus grande opiniâtreté ; il a plus argumenté contre ceux qui, au Monde, attribuent un commencement que le Philosophe ne l’avait fait. En outre, il est, sans comparaison, plus digne de reproches que le Philosophe, car il a plus directement combattu notre Foi, prétendant mettre le faux en évidence en ce qui ne peut contenir aucune erreur, car la Vérité première en est le fondement. »

Parmi les erreurs que notre auteur attribue à juste titre à Averroès, citons, en particulier, celles-ci :

« Il a admis que l’intelligence était numériquement une en tous les hommes. »

  1. Tractatus de erroribus philosophorum, Capp. IV et V. P. Mandonnet, Op. laud., Seconde partie, pp. 8-10.