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LA DOCTRINE DE PROCLUS ET LES DOMINICAINS ALLEMANDS

Causes[1], ne provient pas de la Cause première ; elle provient de celui qui reçoit ; car ceux qui reçoivent le bien différent les uns des autres. Celui dont vient l’influence est un, et non divers ; il verse donc également sur tous une même influence ; sur toutes choses, l’influence de bonté qui vient de la Cause première est égale. Ce sont les choses elles-mêmes qui sont la raison de la diversité dans la répartition de cette influence sur les choses… Chacune des choses reçoit l’influence de la Cause première dans la mesure de sa puissance ».

Que les créatures toutes constituées et, par cette constitution même, différentes les unes les autres, aient des aptitudes inégales à s’abreuver au fleuve bienfaisant que le souverain Bien verse également sur toutes choses, cela se comprend sans peine. Mais pourquoi y a-t-il des créatures diversement constituées ?

On répondra sans doute qu’elles ont reçu plus ou moins profondément l’empreinte des formes vitales et intellectuelles que la première Vie, que la première Intelligence ont imprimées dans leur existence. Mais la parfaite unité de l’intelligence première et de la première Vie ne permet pas qu’on leur attribue une manière d’agir variable et capricieuse ; c’est d’une action toute uniforme que celle-ci donne à toutes choses le mouvement vital et celle-là l’aptitude à connaître et la science ; si donc les choses ne sont pas toutes également vivantes, egalement intelligentes, c’est qu’elles n’avaient pas toutes une même disposition à subir l’action de la première Vie et de la première Intelligence. Celte disposition, où la chercher, sinon dans la seule propriété que les créatures possédassent avant d’avoir été informées par la Vie et par l’intelligence, dans l’existence ? Nous voici donc conduits comme par force à déclarer que les diverses créatures ont reçu, de l’existence même, des parts inégales.

Or, du premier Être, l’existence découle avec une parfaite uniformité. Si les diverses créatures ont reçu des parts inégales d’existence, ce ne peut être du fait du premier Etre. Mais ce ne peut être, non plus, par suite d’une plus ou moins grande disposition à recevoir l’existence. Cette disposition, où donc eut-elle trouvé résidence ? Bien, absolument rien n’a précédé l’existence. Le néant aurait-il donc offert des parties distinctes, diversement aptes à subir l’action créatrice de la Cause première ?

Cette difficulté, certains Néo-platoniciens, tel Damascius[2], en ont clairement aperçu la gravité ; nul n’en a donné la solution.

  1. Liber de Causis, XXIV. Voir : Troisième partie, Ch. II, § VII ; t. IV, p. 459.
  2. Voir : Troisième partie, Ch. II, § VII ; t. IV, pp. 460-461.