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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

qui existe nécessairement ; en cette Cause première, donc, l’existence n’est pas autre chose que l’essence.

Telles sont les quatre théories qui se sont donné pour tâche de développer cette pensée : Dieu est simple, tous les autres êtres sont composés.

Entre ces quatre théories, que des ambiguïtés de langage ne leur permettait pas toujours de distinguer clairement l’une de l’autre, les maîtres du xme siècle ont éprouvé de grandes hésitations. De ces hésitations, nous avons trouvé une saisissante preuve dans les multiples variations de sens qu’a connues la formule : Diversum est id quod est et id quo est. Nous avons vu saint Thomas d’Aquin pencher, par un balancement incessant, tantôt vers la doctrine de Thémistius et tantôt vers la doctrine d’Avicenne ; nous l’avons vu, secondé par un texte fautif du Liber de Causis, s’efforcer d’accommoder la pensée de Proclus à celle d’Avicenne, qui en est presque le contraire.

À la doctrine de Proclus et du Livre des Causes, Henri de Gand était revenu, un peu timidement peut-être ; et les attaques des partisans d’Avicenne avaient fini par le contraindre à une sorte de compromis.

C’est parmi les Dominicains de la province d’Allemagne que cette doctrine va trouver de nombreux et fermes adhérents.

Parmi ces Dominicains, le nom et l’enseignement d’Albert le Grand, gloire de l’église de Cologne, était en très grande vénération ; l’influence d’Albert prépara certainement, à un très haut degré, celle du Livre des Causes.

Albert n’était pas encore de ceux en qui le Péripatétisme avait effacé tout souvenir de l’ancienne Scolastique ; le Platonisme gardait grand prestige à ses yeux ; la Théorie des Planètes d’Alpétragius, par exemple, bien qu’il en reconnût et dénonçât l’insuffisance astronomique, le séduisait parce quelle permettait, croyait-il, de reléguer les multiples Intelligences introduites par la Métaphysique d’Aristote et conservées par celle d’Avicenne. Le Livre des Causes, on n’en peut douter, plaisait fort à sa raison ; nous en avons pour témoins le commentaire qu’il a consacré à cet ouvrage ; c’est peut-être, des écrits composés par l’Évêque de Ratisbonne, celui où sa pensée se développe avec le plus d’originalité et d’abondance. Des doctrines du Livre des Causes il s’inspirait parfois, peut-être sans en avoir conscience ; nous avons vu[1] comment, pour dissiper les erreurs dont l’âme humaine était le

  1. Voir : Troisième partie, ch. XI, § V ; t. V, pp. 450-465.