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LA DOCTRINE DE PROCLUS ET LES DOMINICAINS ALLEMANDS

Dès lors, en tout être changeant, composé de matière et de forme, ou peut distinguer la substance individuelle, qui est telle chose (τὸ τόδε) de la forme spécifique, grâce à laquelle cet être est de telle nature (τὸ τῷδε εἶναι) ; saint Basile dirait qu’on y peut distinguer la ὑπόστασις individuelle de l’οὐσία spécifique.

Au contraire, dans les Intelligences immuables et privées de matière, rien ne saurait subdiviser la forme spécifique en individus divers ; chaque Intelligence particulière constitue, à elle seule, une espèce ; le τὸ τόδε est identique au τὸ τῷδε εἶναι, la ὑπόστασις à l’οὐσία.

Pour Aristote et pour Thémistius, toutes les Intelligences sont simples ; c’est seulement dans les êtres doués de matière que se reconnaît une dualité. Pour les Néo-platoniciens d’Alexandrie, le premier principe possède seul l’absolue simplicité ; seul, il mérite d’être appelé l’Un. En tout être, au-dessous de l’Un, il y a dualité.

Guidé par Proclus, le Livre des Causes précise cette pensée de la manière suivante :

La Cause première est exclusivement existence (esse). Au contraire, en tout être inférieur à la Cause première, il faut distinguer l’existence, premièrement engendrée par l’Être suprême, des formes que la Cause première et les diverses causes secondes ont imprimées dans cette existence pour la déterminer et différencier. Tandis donc que la première Cause est seulement existence, toute créature est existence et formes.

Cette existence dans laquelle les diverses causes impriment ce que les Néo-platoniciens entendent par formes, le Livre des Causes la compare à la Matière première du Péripatétisme, à la ὕλη qui, elle aussi, reçoit des formes ; aussi donne-t-il à cette existence le nom d’hyliathis.

Comme les Néo-platoniciens hellènes, Avicenne n’attribue l’absolue simplicité qu’à la Cause première ; au sein de toute créature, il découvre une dualité. Ce qui avant tout, dans son système, oppose la créature au premier Principe, c’est que celui-ci est nécessaire et que celle-là est contingente.

Contingente, la créature ne possède par elle-même que son essence ou quiddité, par laquelle elle est elle-même et non pas autre chose ; mais cette essence est, de soi, indifférente à l’existence ou à la non-existence ; l’existence qu’elle possède, elle la tient d’autrui. En elle, donc, on peut distinguer l’essence qui lui est propre de l’existence qui lui a été donnée par une Cause créatrice distincte d’elle-même.

L’essence du premier Principe, au contraire, c’est d’être Celui