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HENRI DE GAND

lument ni du plan dessiné par le Péripatétisme, ni du plan tracé par le Néoplatonisme. De l’œuvre d’Aristote et d’Averroès, aussi bien que de l’œuvre d’Avicenne et d’Al-Gazâli, des pans entiers se retrouvaient dans l’édifice thomiste ; par leurs mutuels contrastes comme par leur figure étrangère au plan général de cet édifice, ils en rompaient l’harmonie. Ces restes, trop pieusement conservés, du Paganisme hellénique ou de la Philosophie mulsumanc, Henri les a jetés bas.

Mais là s’est arrêtée son œuvre de destruction ; il n’a été antithomiste que dans les circonstances où Thomas d’Aquin ne lui a pas paru demeurer assez chrétien ; tout ce qu’il a pu sauver de la synthèse thomiste, après la démolition de ce que cette synthèse avait gardé d’Aristote, d’Avicenne et d’Averroès, il l’a conservé et incorporé dans son propre système.

En particulier, il s’est tenu fort à l’écart des doctrines soutenues par les adversaires franciscains de saint Thomas, par saint Bonaventure et par Roger Bacon ; sur lui l’influence d’Avicébron n’a pas eu de prise ; du rabbin de Malaga, il n’a point voulu recevoir la théorie de l’existence et de la communauté delà matière en toutes les créatures ; à la théorie de la pluralité et de la hiérarchie des formes substantielles, il n’a fait qu’une seule concession, et cette concession, il l’a rendue aussi exiguë que le lui permettait le respect de ce qu’il tenait pour enseignement de l Eglise. Il n’a pas hésité à blâmer certaines condamnations portées par Jean Peckham contre cette théorie, comme il avait accueilli avec soumission, mais avec réserve, l’excommunication prononcée par Etienne Tempier contre certaines thèses thomistes.

Par sa puissance, par son unité, par son souci de l’orthodoxie, par sa modération, l’enseignement d’Henri de Gand méritait d’attirer l’attention des théologiens auxquels il fut donné de l’entendre. Il l’attira, en effet, avec une force extrême. Durant le temps qui s’est écoulé depuis le décret d’Etienne Tempier jusqu’aux leçons de Jean de Duns Scol, il n’y eut guère, en l’Université de Paris, de lecture sur les Sentences ni de discussion quodlibétique où les thèses du théologien gantois ne fussent examinées ; les docteurs éminents pourraient, durant cette période être tous rangés en l’une ou en l’autre de ces deux catégories : les disciples d’Henri de Gand, les adversaires d’Henri de Gand. Il convenait donc d’étudier la philosophie d’Henri avec quelque détail, puisqu’aux discussions dont nous allons retracer l’histoire, c’est elle qui fournit un objet.