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HENRI DE GAND

seule forme substantielle qui donne l’existence au sujet composé de matière et de forme et à tout ce qui se trouve en ce sujet. »

Henri énumère les raisons invoquées par les partisans de cette doctrine, La principale est celle-ci, qui est d’Averroès, et que Thomas d’Aquin lui a emprunté : « La première forme, en s’unissant à la matière première, fait une certaine substance composée de matière et de forme qui est une chose déterminée’hoc afàquid). Si une seconde forme, survenant à ce composé, produit une chose bien déterminée (hoc aliquid) et un nouveau compose, ce ne sera plus un composé de matière et de forme, mais tin composé d’un premier composé et d’une forme, car le premier composé était déjà chose bien déterminée (hoc aliquid) par la première forme. Le même être serait donc plusieurs choses bien déterminées ; en une même chose, il y aurait plusieurs compositions substantielles distinctes ; les principes immédiats de tout composé substantiel ne seraient plus matière et forme. Tout cela semble absurde. »

C’est, pour ainsi dire, un autre aspect de la même raison que l’auteur nous présente en ces termes : « L’existence toute simple (esse simpliciter) d’un être unique est quelque chose d’unique ; c’est, en effet, le premier acte de cet être et, en tout ordre de choses, celle qui est la première est unique en son genre. Puis donc que l’existence qui constitue l’acte premier provient de la forme substantielle et qu’à une manière d’être unique correspond une forme unique, il en résulte qu’il n’y a, en un être unique, qu’une seule forme substantielle. Toute forme qui vient se superposer à celle-là est, pour le composé, une forme accidentelle ; la manière d’être qu’elle lui confère n’est qu’une existence accidentelle, car elle vient après que la chose a été constituée en son existence première. »

Ces raisons, Henri les développe avec force ; elles le conduiraient assurément à supposer qu’en toute substance naturelle, il n’y a qu’une seule forme substantielle si une grave objection ne venait lui interdire d’étendre cette conclusion jusqu’à l’homme. « Je crois dit-il[1], que l’Église tient pour article de foi la proposition suivante : Le corps du Christ, vivant et uni à l’âme, et le cadavre séparé de l’âme étaient, numériquement et absolument, le même corps. »

L’identité de matière ne suffirait pas, d’ailleurs[2], comme beaucoup l’ont soutenu, et comme Henri l’avait admis lui-même,

  1. Henri de Gand, loc. cit. ; éd, cit., fol. CIX, verso.
  2. Henri de Gand, loc. cit. ; éd, cit., fol. CXI, recto.