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HENRI DE GAND

nous expliquerons, selon notre propre intention, quelles sont les choses en lesquelles on ne peut point mettre une gradation et une pluralité de formes, quelles sont celles où on les doit supposer, enfin pourquoi et comment on les y doit supposer. »

Henri rapporte tout d’abord[1] les raisons invoquées par les partisans de la pluralité des formes substantielles. Voici les deux principales : « C’est la forme qui, par son essence, donne au composé sa manière d’être naturelle (esse naturale) ; autant donc il y aura de manières d’être en la nature du composé, autant il y aura de formes distinctes. Mais en tout composé naturel, nous reconnaissons plusieurs manières d’être naturelles. Tout individu, par exemple, a, tout d’abord, l’existence naturelle prise en son entière simplicité ; par cette première existence il est un être, mais n’est encore ni substance ni accident. Il a ensuite une manière d’être par laquelle il est substance, mais sans être substance corporelle ni substance incorporelle ; il en a une troisième par laquelle il est corps sans être encore corps simple ni corps mixte ; après celle-là, il en vient une autre par laquelle il est corps simple (tel un élément) ou corps mixte (telle une combinaison d’éléments). Le mixte a une manière d’être par laquelle il est simplement mixte ; une autre par laquelle il est telle sorte de mixte, un être doué de végétation, par exemple ; une troisième par laquelle il est telle sorte d’être doué de végétatiou, un être sensible par exemple ; enfin la manière d’être par laquelle il est simplement sensible diffère de celle par laquelle il est raisonnable ». Cette façon de justifier, en une même substance, l’existence de formes substantielles distinctes et hiérarchisées, dont chacune rend plus étroite et plus précise la détermination du composé, est bien celle qu’exposait Avicébron.

On peut encore justifier ainsi la pluralité des formes substantielles : « C’est la forme qui donne au composé le pouvoir d’opérer ; autant donc il y aura, dans le composé, d’opérations naturelles différentes, autant il y aura de formes différentes… L’homme, par exemple, en tant qu’il est capable de végéter, accomplit les opérations de la vie végétative ; en tant qu’être sensible, il sent ; en tant qu’être raisonnable, il comprend. Donc, en une telle substance, il y a plusieurs formes d’où procèdent ces opérations multiples. »

Ces raisons ne suffisent aucunement à justifier la coexistence de plusieurs formes substantielles au sein d’une même substance.

  1. Henri de Gand, loc. cit. éd. cit., fol. CV, recto.