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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

À ces germes de formes qui seraient véritablement distincts de la matière et qui existeraient en elle d’une existence actuelle, on donnait un nom que les métaphysiques néoplatoniciennes et augustiniennes avaient employé en des sens nombreux et divers, le nom de raisons séminales[1].

Faut-il admettre la réalité de ces raisons séminales ? Henri de Gand ne le pense pas.

Que serait, en effet, cette raison séminale[2] ? Il faudrait qu elle fût de même essence que la forme à produire ou bien qu’elle fût d’essence différente.

Dans le premier cas, la raison séminale serait tout simplement une forme substantielle de même nature que la forme à produire, mais elle en serait une sorte de diminutif ; la génération, alors, ne serait plus proprement une génération, mais un accroissement, par lequel l’existence amoindrie de la raison séminale passerait à l’existence complète de la forme ; en vérité, la forme existerait déjà en la matière avant d’y être engendrée. En outre, une telle doctrine supposerait qu’une forme substantielle est susceptible de plus ou de moins, qu’elle a des degrés, ce qui ne saurait se rencontrer ailleurs qu’en une forme accidentelle ; un corps, en effet, peut être plus ou moins chaud, mais une substance ne peut pas être plus ou moins feu, pins ou moins eau.

Il reste donc que la raison séminale soit essentiellement différente de la forme à produire ; mais alors la forme provient d’une chose qui n’a rien de cette forme, qui, considérée au point de vue de cette forme, est un pur néant ; et nous retrouvons l’impossibilité que nous avions prétendu éviter.

Toute cette doctrine inadmissible procède à partir d’une fausse génération. On s’imagine que la matière est forme en puissance et que la génération consiste à faire que cette matière un néant de forme, puisse, sans création, devenir forme. Mais ce n’est pas ainsi que l’on doit comprendre la génération.

La matière[3] n’est pas forme en puissance, mais bien substance composée en puissance ; la forme n’est pas un être qui soit en puissance avant la génération et en acte après la génération ; c’est au composé, et au composé seul, que ces caractères conviennent. Ce n’est pas la forme qui est l’effet propre et immédiat de la génération, mais bien le composé substantiel ; la forme n’est

1. Voir : Seconde partie, Ch. I, § VII ; t. Il, pp. 443-447-

2. Henri de Gand, loc. cit., éd, cit., fol. CVI, recto et verso.

3. Henri de Gand, loc. ctl., éd. cit., fol. CXX11, recto.

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