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HENRI DE GAND

support de la forme au sein du composé ; cette troisième existence, elle la tient de la forme qui met en acte ce dont, par la seconde existence, la matière était en puissance ; c’est donc une existence actuelle conférée à la matière par la forme, la seule existence actuelle que la matière puisse posséder selon le cours naturel des choses ; la première ne peut subsister que par une action miraculeuse de Dieu.

Cette dernière existence, la matière ne la possède que parce qu’elle entre en composition avec la forme ; elle la reçoit donc parce qu’on lui adjoint quelque chose, la forme, qui diffère réellement d’elle-même.

Il n’en est pas de même du second mode d’existence ; la puissance qui caractérise ce second mode d’existence n’est pas une chose réellement distincte de la matière et qui viendrait s’ajouter à cette matière[1]. C’est un simple rapport par lequel on compare la matière à toutes les formes qu elle peut recevoir, en affirmant qu elle est indifférente à recevoir l’une plutôt que l’autre ; pour concevoir cette puissance, donc, on fait complète abstraction aussi bien de la forme sous laquelle la matière existe actuellement que de la forme à laquelle tend son mouvement si elle est en voie de changement. Ce rapport, qui a son fondement en l’essence même de la matière, n’est point du tout une chose qui existerait dans la matière et qui en différerait ; pas plus qu’une ressemblance entre un objet et son modèle, ressemblance qui résulte de l’essence même de l’objet, n’est une chose différente de cet objet et réellement existante en cet objet.

Au temps où Henri formulait cette opinion, il s’en fallait de beaucoup qu’elle fût unanimement acceptée. Beaucoup de philosophes raisonnaient ainsi :

La matière qui est en puissance d’une certaine forme doit contenir en elle-même une chose actuellement existante, réellement distincte de la matière en laquelle elle réside, et qui ait, avec la forme à produire, une certaine analogie, une certaine affinité ; cette chose-là est comme le germe à partir duquel la forme sera développée par l’agent qui la doit mettre en acte. Si cette sorte de germe n’existait pas, la forme prendrait naissance en une matière qui n’a rien de la forme, qui, considérée en tant que forme, est un pur néant ; la production d’une forme en la matière ne serait point une génération, mais une véritable production.

  1. Henrici a Gandavo Quodlibeta quodlib. IV, quæst. XIV. Utrum in materia sit ratio seminalis, quæ est formæ inchoatio. Ed. cit., fol. CXV, recto.