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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Henri de Gand regarde évidemment ce texte de Saint Augustin comme entraînant et justifiant la proposition que.voici : Dieu aurait pu créer la matière un certain temps avant la forme ; partant, il n’est pas absurde que la matière puisse subsister en labsence de toute forme.

« La matière[1] n’est donc pas si proche du néant, elle n’est donc pas si complètement en puissance qu’elle ne soit, [en elle-même], une certaine nature et substance, essentiellement différente de la forme et capable de recevoir cette forme. Cette existence, par laquelle elle est une chose capable de recevoir la l’orme, elle ne la tient pas de la forme, mais bien de Dieu ; elle la tient de lui plus immédiatement que la forme elle-même, en sorte que lorsque Dieu produit les formes, on peut dire qu’il les forme à partir de la matière plutôt qu’il ne les crée. En dépit de l’existence débile et potentielle que possède la matière, on ne doit pas dire que la possibilité d’exister, pour cette matière, dépend entièrement et absolument de la forme ; on doit bien plutôt affirmer le contraire. Qui plus est, la matière est, par elle-même, susceptible d’exister, car elle peut être créée toute seule et elle a, en la pensée du Créateur, son idée propre. Sans doute, selon le commun cours de l’institution naturelle, la matière est ainsi faite qu’aucune action de la nature ne la puisse dépouiller de toute forme, car en toute action purement naturelle, la corruption d’une forme est la génération d une autre forme ; mais par l’action du Créateur, la matière peut être dépouillée de toute forme ; elle rejette alors ce qui, en sa nature, venait de la forme ; cela, Dieu ne le conserve plus, en sorte que cela tombe dans le néant, mais cc qui appartient à la matière, la matière le conserve en l’existence dont elle est susceptible par elle-même ».

La matière a donc trois sortes d’existences[2].

En premier lieu, la matière possède l’existence absolue que Dieu lui donne par la création et qu’il pourrait lui maintenir isolément sans l’unir à aucune forme.

En second lieu, à la matière convient l’existence par laquelle elle est capacité de recevoir la forme ; cette existcnce-là n’est pas comme la première, une existence en acte ; c’est une existence en puissance ; cette existence en puissance, elle ne la tient pas de Dieu par voie de création, mais de sa nature et de son essence.

En troisième lieu, la matière possède l’existence en tant que

  1. Henri de Gand, loc. cit., éd. cit., fol, VIII verso.
  2. Henri de Gand, loc. cit., éd. cit., fol. IX, recto.