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mier homme ni une première pluie ; éternellement, les continents et les mers doivent alterner.

Fort exactement, le Tractalus de erroribus philosophorum résume les arguments divers par lesquels Aristote prétendait établir ces thèses liées les unes aux autres ; les raisonnements qu il cite sont, la plupart du temps, ceux que Siger de Brabant s’est plu à reprendre et à développer ; ainsi rappelle-t-il cette raison, donnée au premier livre Du Ciel et du Monde pour démontrer que le ciel n a pas été engendré : « Tout ce qui possède une vertu qui lui permet d’exister indéfiniment dans l’avenir a, de tout temps, possédé la vertu de toujours être dans le passé ; puis donc que le Ciel n’aura point de fin, c’est qu’il n’a pas commencé. »

Toutefois, parmi les arguments d’Aristote, il en est un que notre auteur développe avec un soin particulier ; c’est celui qui tend à démontrer l’éternité du mouvement. Le Philosophe, dit-il, « a cru qu’aucune chose ne pouvait se trouver en quelque disposition qu’elle n’avait pas auparavant, à moins qu’elle n’y fût venue par un mouvement précédent. Il a admis, en effet, qu’il ne pouvait y avoir innovation sans qu’il y eût changement proprement dit ; or le changement est le ternie du mouvement ; il ne peut donc y avoir innovation sans mouvement précédent. De ce principe, il concluait, que le mouvement n’a jamais commence ; car, si le mouvement a commencé, le mouvement a été nouveau ; mais rien de nouveau ne peut être que par l’effet d’un mouvement précédent ; il faut donc qu’avant le premier mouvement, il y ait eu un certain mouvement, ce qui est absurde ».

Si notre auteur a mis tant de soin à présenter cet argument, c’est qu’il y voit le soutien (fulcimentwri) de toutes les erreurs d’Aristote, et il consacre un petit chapitre spécial à le montrer :

« Toutes les erreurs du Philosophe, si on les examine avec subtilité, découlent de ce principe : Rien de nouveau ne peut être amené à l’existence si ce n’est par un mouvement précédent ». Ce principe est vrai pour un agent qui opère à la manière d’un instrument ; l’action d’un tel agent présuppose le mouvement. Mais ce principe n’est plus vrai de l’action créatrice de Dieu ; la création n’est pas un mouvement, car tout mouvement présuppose un mobile ; la création n’est pas un changement, car tout changement présuppose un mouvement ; la création, elle, ne présuppose rien. La création échappe donc à l’enserrement de l’argumentation d’Aristote. « Tout ce qu’il a dit contre le commencement du Monde et contre les propositions que la foi tient pour vraies, tout cela est sophistique. »