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HENRI DE GAND

d’eux est en puissance d’occuper une autre situation que celle où il se trouve dune manière actuelle ; à ce changement de lieu, le seul qu’un orbe puisse éprouver, il fait correspondre une certaine matière, une matière locale. Chaque ange n’est-il pas, lui aussi, en puissance d’éprouver certains changements, et cette puissance n’est-elle pas une certaine matière ?

Cette matière ne peut, pas être, comme pour le ciel, une matière locale, car l’ange n’a pas de lieu (ubi) et n’en change pas. Cette matière correspondrait donc simplement aux changements que l’ange peut éprouver en son intelligence et en sa volonté.

Dès là que les anges du Christianisme ne sont plus, comme les substances séparées du Péripatétisme, des êtres exempts de tout changement, il est logique de leur attribuer une telle « matière intellectuelle et volontaire. » Richard de Middlcton, nous le verrons, n’a pas reculé devant cette conséquence, llenri de Gand ne la veut pas admettre. « Lors même, dit-il[1], qu’on trouverait une certaine composition dans une nature intellectuelle, ce ne serait pas une composition faite de matière et de forme j elle serait seulement composée de quelque chose qui se comporterait à la façon d’une matière et de quelque chose qui se comporterait à la façon d’une forme. C’est d’une telle composition que parle le Commentateur au troisième livre De l’âme. »

Au passage auquel Henri fait allusion, Averroès, fort infidèle à la doctrine d’Aristote, s’était évidemment inspiré du Livre des causes ; ce qu’il avait admis en l’intelligence, c’était la dualité de la hyliathis et de la forma. Alexandre de Halès, Albert le Grand, Thomas d’Aquin s’étaient accordés en cette même doctrine qu’Henri de Gand accepte à son tour.

Pour être complet, il lui faut encore répondre à l’argument par lequel Gilles de Rome prétendait établir la communauté de nature entre la matière céleste et la matière sublunaire. La matière première, disait Gilles, est tout simplement ceci : Un être qui est exclusivement en puissance. Comment donc, en cette matière première, trouverait-on un caractère qui permit de distinguer la matière des cieux de la matière élémentaire ? « Cet argument ne vaut rien, dit Henri[2], car la raison qui distingue ou différencie les principes n’est pas la même raison qui distingue les unes des autres des choses postérieures aux principes. Tout ce qui est principe est simple ; c’est donc par eux-mêmes que les prin-

1. Henri de Gand, loc. cit., éd. cit. fol., CXXXI, recto.

2. Henri de Gand, loc. cit., éd. cit., fol. CXXXI, verso.

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