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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

relles ; mais ils disent que cette matière est de même nature en tous les êtres où elle se rencontre. Par elle-même, en effet, la matière est simplement un être en puissance ; elle ne possède aucune actualité ; il ne saurait donc, en la matière prise eu elle-même, se trouver quoi que ce soit par où une matière puisse différer d’une autre matière. »

Cette dernière doctrine, nous entendrons Gilles de Rome la défendre en ses divers écrits. Au temps (1279) où Henri discutait son quatrième quodlibet, Gilles avait peut-être déjà composé ses Quæstiones de materia cæli, qui semblent être une œuvre de sa jeunesse et qui exposent la théorie dont Henri nous vient de donner le résume.

À la doctrine d’Avicébron comme à la doctrine de Gilles de Rome, Henri oppose la véritable notion péripatétitienne de matière première, telle qu’Aristote et Averroès l’ont definie : « C’est la transmutation qui nous fait connaître la matière. » Seules, deux choses capables de se transmuer l’une en l’autre ont une matière commune. Si donc tous les êtres, hors Dieu, avaient une commune matière, « cette même matière pourrait échanger la forme élémentaire contre la forme céleste ou la forme angélique et inversement ; or cela est évidemment faux ; puis donc que ces formes ne se peuvent transmuer les unes en les autres, c’est que la matière qui a revêtu la forme élémentaire n’est pas de même nature que la matière qui a revêtu la forme céleste, et que ces deux matières n’ont pas même nature que celle qui se trouve sous la forme d’ange.

» Mais, direz-vous, il est vrai que la matière soumise à chacune de ces formes est en puissance de toutes les formes que vous voudrez ; mais ce qui fait défaut, c’est l’agent naturel qui la pourrait amener à telle ou telle de ces formes. » C’est ainsi, en eflet, que Gilles de Rome expliquait comment les cieux et les éléments ne se transforment pas les uns en les autres en dépit de la matière commune qu’il leur attribue. À quoi servirait, réplique Henri, cette puissance commune que rien ne peut mettre en acte ? Il la faut rejeter, car la perfection de l’Univers ne veut pas que l’on y puisse rencontrer une puissance passive à laquelle ne correspondrait aucun pouvoir actif.

Il n’y a donc pas de matière commune aux cléments et aux cieux, pas de matière commune aux choses corporelles et aux anges. En résulte-t-il que les anges n’aient aucune matière ?

Les cieux ne se peuvent changer en éléments ni se transmuer les uns en les autres. Aristote cependant observe que chacun