Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/163

Cette page n’a pas encore été corrigée
153
HENRI DE GAND

l’âme fût l’acte et la forme substantielle du corps ni qu’elle ne fût pas cet acte et cotte forme. Flottant sans cesse entre les deux partis, tantôt il a présenté les apparences qui sont en faveur de l’un « le ces partis, tantôt celles qui sont en faveur de l’autre. Aussi certains de ses commentateurs grecs et arabes interprètent-ils tous ses dires en l’un des deux sens, tandis que d’autres les interprètent tous en sens contraire. En effet, comme il flotte dans le doute, il n’a pas plutôt, parlé en faveur de celui des deux partis auquel il s’attacherait peut-être le plus volontiers, que la vérité le contraint à dire diverses choses qui semblent favorables à l’autre parti.

» Il nous faut donc examiner ce qu’Aristote pense de ces questions ; mais il ne suffit point, pour cela, de prendre au pied de la lettre les propositions qu’il énonce, car elles rendent tantôt le son qui convient à l’un des doux partis et tantôt le son qui convient à l’autre parti ; il ne nous faut point, non plus, rapporter aux dires de ses commentateurs ; il nous faut user de ses principes fondamentaux, de ceux qu’il a, personne n’en doute, posés d’une manière intentionnelle ; nous pourrons, de la sorte, chercher quel fut son sentiment ou, du moins, quel parti sollicitait le plus fortement son consentement, encore qu’il ne fût point certain de la fausseté de l’autre parti. »

Cet examen, conduit avec prudence et perspicacité, amène Henri de Gand à formuler ces conclusions[1] :

« Par ce que dit Aristote lorsqu’il traite de l’âme en naturaliste, on pourrait fort bien montrer que l’intelligence est l’acte et la perfection du corps ; et, en vérité, on devrait juger ce que fut là l’opinion d’Aristote, s’il n’avait proposé sa théorie sous forme conditionnelle et s’il ne l’avait laissée dans l’indécision…

» Mais si nous portons notre attention sur les principes plus généraux de sa Philosophie, à ceux qui concernent l’éternité du monde, la multitude infinie des hommes « pii nous ont précédé, l’incorruptibilité de l’intelligence et sa persistance après la mort du corps ; nous en déduirions, [si chaque homme avait une intelligence particulière, ] qu’il y aurait maintenant une infinité d’intelligences existant d’une manière actuelle, ce qu’il n’a, je pense, aucunement admis…

» Nous devons donc penser qu’au sujet de ces questions : L intelligence est-elle l’acte et la forme du corps ? Est-elle multiple comme les hommes le sont ? Aristote n’a rien dit, rien décidé qui

  1. Henri de Gand, loc. cit. ; éd. cit., fol. CCCLXXXI, verso.