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HENRI DE GAND

qu’Henri de Gand va demander ce qu’est, proprement, l’individuation.

« Une seule et même essence[1] qui est, par elle-même, absolument simple, si l’on n’y ajoute rien, d’ailleurs, qui en diffère, soit en réalité, soit par intention, ne peut être distinguée et multipliée en plusieurs individus ; cela serait absolument inintelligible pour l’esprit et impossible en réalité. Aucune essence, en effet, considérée en elle-même, ne peut être conçue comme affectée de quelque distinction, multiplicité ou diversité. Lorsqu’on la considère de la sorte, en effet, on ne la conçoit point comme existant en plusieurs individus, et ou ne la conçoit pas davantage comme existant en un seul individu ; on ne la conçoit ni comme universelle ni comme particulière ; ou la conçoit comme également susceptible de devenir l’un et l’autre. Si donc une telle essence doit être subdivisée en plusieurs individus numériquement différents les uns des autres, il faut que ce soit par quelque chose qui s’ajoute à cette essence, qui y marque des distinctions, qui confère à l’essence la diversité qui est en lui-même et qui y introduise la multiplicité qui sépare les individus les uns des autres.

» Mais celte chose, différente de l’essence, qui s’ajoute ainsi à l’essence, peut en différer d’une manière réelle ou seulement par intention. » De la discussion qu’il institue à ce sujet, Ilenri conclut : « On ne saurait aucunement comprendre qu’une essence immatérielle pût être subdivisée par l’addition d’une chose qui en différerait d’une manière réelle ; il faut donc que ce soit par l’addition d’une chose qui en diffère seulement en intention. »

Cette chose qui n’a, avec l’essence, qu’une simple différence d’intention et qui, en s’ajoutant à l’essence, la subdivise en individus multiples, c’est tout simplement l’existence. L’essence, considérée en elle-même, était affectée d’une double indifférence ; elle était indifférente à l’être ou au non-être ; elle était indifférente à l’être universel ou à l’être particulier ; en lui conférant l’existence, Dieu détermine à la fois ces deux indifférences ; il fait que l’essence soit, et qu’elle soit en tels et tels individus.

« Deux anges[2] qui existent seulement sous leurs formes substantielles… sont individuellement distincts par cela seul qu’ils subsistent d’une manière effective. Hors de l’essence qui est commune à tous deux, il y a la subsistance de l’un qui n’est pas la

1. Henri de Gand, /oc. ctZ ; éd. cit. ? foL XXXV, recto.

2. Henri de Gand, loc. cil. ; éd. cit., fol. XXIV, recto et verso.

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