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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

la suivante : Chacune de ces formes est un Dieu et un être nécessaire.

» Or nos amateurs de philosophie (nostri philosophantes) veulent suivre le Philosophe en cette conséquence : Pour les formes séparées, il ne peut y avoir qu’un individu unique sous une même espèce, ou mieux sous une même essence, car ici la notion d’espèce n’a plus, à proprement parler de raison d’être. Dès lors, il ne leur suffît pas de suivre le Philosophe en son premier antécédent : Par suite du défaut de matière, il ne peut y avoir plusieurs individus sous la même espèce. 11 leur est encore et surtout nécessaire de le suivre en son second antécédent : chacune de ces formes est un dieu et un être nécessaire ; en elles, il n’v a point de différence entre l’essence et l’existence. »

Thomas d’Aquin était au nombre des philosophantes qu’Henri de Gand acculait si brutalement à la nécessité de se convertir au polythéisme d’Aristote.

Afin de pouvoir compter plusieurs anges dans une même espèce, tout on laissant jouer à la seule matière le rôle de principe d’individuation, certains ont imaginé d’attribuer une matière meme aux créatures spirituelles. Inspiré par Avicébron, Alexandre de Hales a tenu ce parti. Henri de Gand ne croit pas devoir s’y rallier. « Cette supposition, dit-il[1], est comprise parmi les articles erronés que l’évêque de Paris a récemment condamnés. Un de ces articles, en effet, est ainsi conçu : Que Dieu ne puisse, sans matière, multiplier les individus sous une même espèce, erreur. Un autre dit : Que les formes ne puissent être soumises à la division, si ce n’est suivant la matière ; erreur, à moins qu’on ne l’entende des seules formes tirées des puissances de la matière. Un troisième article dit encore : Que Dieu ne puisse faire plusieurs intelligences de même espèce, parce que les intelligences n’ont pas de matière, erreur.

» Si ce sont là erreurs, il est vraiment évident qu’ils errent grandement ceux qui attribuent aux anges une matière ; ils veulent, en effet, que chaque ange reçoive son individuation par cette matière ; que les anges, au sein d’une même espèce, se distinguent les uns des autres par multiplication fdes supports matériels] ou par division de la matière ; comme si ni cette individuation ni cette distinction ne pouvaient être sans cette matière. Lcsdits articles, cependant, formulent l’opinion contraire. »

C’est uniquement à la distinction entre l’essence et l’existence

  1. Henri de Gand, loc. cit. ; éd. cil., fol. XXXIII, verso.