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HENRI DE GAND


D. Le principe d’individuation.


Le problème de la distinction, entre l’essence et l’existence se trouve étroitement lié au problème de l’individuation.

Le seul principe d’individuation, c’est la matière ; pour les êtres composés de forme et de matière, on peut, dans une même espèce, rencontrer des individus multiples ; c’est impossible pour les êtres privés de matière ; dans chaque espèce, il ne peut plus y avoir qu’un seul individu. Telle était la très formelle affirmation d’Averroès. De bonne heure, en la Scolastique chrétienne, il s’était trouvé des docteurs pour l’énoncer en ces termes : Chaque ange est seul de son espèce. Combattue par Guillaume d’Auvergne et par Alexandre de Hales, cette thèse avait été constamment soutenue par Saint Thomas d’Aquin. Elle avait été tout particulièrement visée, en 1277, par les condamnations d’Étienne Tempier. C’est au moment meme où ces condamnations venaient d’être portées qu Henri de Gand se propose d’examiner cette question[1] : Dieu peut-il faire deux anges qui, par leurs seules formes substantielles, soient distincts l’un de l’autre ?

Très exactement, notre théologien montre[2] que l’absence de matière n’est pas la seule raison qui conduise à compter, parmi les intelligences séparées, autant d’espèces distinctes qu’il y a d’individus ; cette conclusion, comme l’absence de matière, découle de cette supposition que ces intelligences sont des êtres nécessaires et existant par eux-mêmes, des dieux en lesquels l’essence est identique à l’existence. « Quoi d’étonnant, des lors, si le Philosophe dit que pour les formes séparées, en une même espèce, c’est-à-dire en une même essence, il n’y a qu’un seul individu ? Cela ne résulte nécessairement point tant de sa fausse supposition qu’il ne peut y avoir plusieurs individus dans la même espèce sinon par la matière, que d’une autre proposition sacrilège qu’il a formulée, en sacrilège qu’il est (quant ex alio sacrilego quod lanqtiam sacriicgus positif). Cette proposition est


1. Heniuci a Gandavo {piotilibeta jquodlib. Il, quæst. VIII ; Ulruin possunt fieri a Deoduo angeli solis substantialibus distincli.

2. Hbnri ne Gaxd, loc. cil., éd. cit, , fol. XXXIH. recto.

    cennc. Il distingue deux existences, l’existence au sens large (esse latissimiim) et l’existence proprement dite (esse existentæ). L’essence sc trouve, pour ainsi dire, intermédiaire par nature entre ces deux existences. Ce qui est créé en premier lieu, d’une priorité de nature, c’est l’esse latissimum. Cette existence au sens large est informée ensuite par l’essence et par l’existence proprement dite, celle-là se comportant par rapport à l’esse latissimam à la façon d’une forme substantielle et celle-ci à la manière d’un accident. — En cette question, d’ailleurs, très longue et très importante, Henri reprend l’expositioD de toute sa doctrine de l’essence et de l’existence.

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