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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

contraire que se comportent, en la génération, la matière à l’égard de la forme, et, dans la création, l’essence à l’égard de l’existence. Dans la génération, la matière sert de support préexistant ; c’est par l’information de cette matière que la forme en est tirée ; elle y est acquise comme en un sujet. Dans la création, il n’y a aucun support préexistant ; la nature totale de la chose est produite en un seul instant ; mais c’est proprement de l’existence que l’essence est produite par la création ; ce n’est pas qu’elle soit tirée de l’existence et produite en l’existence comme en un sujet qui lui serait approprié ; mais elle est produite en l’existence comme quelque chose qui appartient à cette existence, qui en est la première détermination, tandis que toutes les déterminations ultérieures seront produites par voie d’information. Si on la compare donc aux autres déterminations, on sera porté à dire que l’essence même est produite à partir de l’existence ; que l’existence est en puissance de l’essence bien plutôt que l’essence n’est en puissance de l’existence. »

Ne retrouvons-nous pas ici les pensées que le Livre des causes exprimait en disant que toute créature est existence et forme et que l’existence y est ce quelque chose, analogue à une matière, que l’on peut nommer hyliathis ? La théorie de l’essence et de l’existence qu’Henri de Gand a opposée à la théorie d’Avicenne revient ainsi, et d’une manière très consciente, à la doctrine du Livre des causes.

Thomas d’Aquin, lui aussi, avait rappelé la proposition par laquelle le Livre des causes déclarait qu’en toute créature, il y a une hyliathis. Mais il n’avait point signalé l’extrême différence qui existe entre la doctrine de ce livre et la doctrine d Avicenne, et c’est cette doctrine d’Avicenne qu’il avait adoptée. 11 avait même torturé le texte du Livre des causes pour le contraindre à se mettre d’accord avec la pensée d’Ibn Sinâ. Le parti auquel Henri de Gand arrive à se ranger diffère extrêmement de celui auquel Saint Thomas s’était rallié. Mais si celui-là a été conduit à de telles conclusions, c’est, peut-être, parce qu’il a suivi avec une rigoureuse logique les principes posés par celui-ci[1] .

1. Ed un de ses derniers Quodlibet (a), Henri de Gand a compliqué sa théorie de l’essence et de l’existence, afin, semble-t-il, de composer une sorte de moyeu terme entre la doctrine du Livre des causes et la doctrine d’Avi-

(a) Henrici a Gandavo Quodltbela ; quodlib. XI, quæst. III : Utrum in composite ex materia, et forma educibili de pofentia materiæ, creato, principales creatur materia an forma. Ed. cit., fol. CCCCXLII. verso, et fol. CCCCXLIII, recto.

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