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HENRI DE GAND

Saint Thomas d’Aquin, lui aussi, s’était vivement élevé[1] contre la doctrine qui assimile la création au don de l’existence à une essence incréce et préexistante ; il avait maintes fois affirmé que l’acte créateur produit simultanément l’essence et l’existence ; entre sa pensée et celle d’Henri de Gand, à peine pourrait-on noter de fugitives nuances ; Henri prend seulement soin d’affirmer plus nettement que Thomas ne l’avait fait la distinction entre leur commune doctrine de la création et celle du Néo-platonisme arabe.

Mais la théorie du Docteur gantois se va maintenant séparer de celle du Docteur dominicain.

Si la création de l’essence et la création de l’existence sont les effets simultanés d’un même acte, il n’en est pas moins vrai qu’on peut regarder la création de l’existence comme antérieure par nature à la création de l’essence[2].

Si l’on parle seulement de priorité de nature, dans l’intelligence un être est avant d’être telle chose ; dans la réalité, un objet existe avant d’exister sous telle nature ; de même, au point de vue de cette priorité de nature, la création fait de i existence conçue une existence actuelle avant de faire de l’essence conçue une essence actuelle. « Sicut in eodem prius natura est esse quam esse aliquid, et prius existere quam existere aliquid, sic prius creatur esse ut existat quam esse aliquid ut existat aliquid. »

Henri de Gand s’empresse, à l’appui de cette affirmation, de citer cette proposition empruntée au Livre des causes : « La première des choses créées, c’est l’être, et avant l’être, rien d’autre n’a été créé. » Longuement, il commente la doctrine de ce livre et ce commentaire le conduit tout naturellement à ces conclusions[3] :

« La première détermination (intentio) qui survient dans l’existence des choses créées, c’est l’essence ; c’est dans cette essence que le Créateur produit toutes les déterminations ultérieures, non plus proprement par création, mais plutôt par une sorte d information de l’objet créé et, par conséquent, par une espèce de génération…

« À cette proposition, donc : Dans la création, l’essence se comporte, à l’égard de l’existence, comme la matière, en la génération, se comporte à l’égard de la forme, il faut répondre que cela n’est pas exact. Bien plutôt, c’est d’une manière foute

1. Cf. tome V, 1317, du présent ouvrage, pp. 607, 510-âu.

2. Henri de Gand, lac. cit.

3. Henri de Gand, loc. cit., éd. cit., fol. CCCGXIX, recto.

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