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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

selon ce que nous supposons et selon la vérité, ne pose rien de réel en la créature si ce n’est un rapport au Créateur. Toutefois cette existence advient de l’extérieur à l’essence qui n’existait pas encore et qui, par cela qu’elle devient l’effet produit par le Créateur, reçoit l’existence ; c’est par là que l’existence se comporte à la façon d’un accident. »

« L’existence[1] n’ajoute rien à l’essence si ce n’est un certain rapport à l’égard du Créateur. En tant que l’essence est créée, elle participe d’une manière effective à la ressemblance divine et, réciproquement, en tant qu elle est transformée par Dieu, elle possède l’existence. On ne peut pas dire que cette existence soit l’essence même ; on ne peut pas dire non plus qu’elle soit autre chose que l’essence. De même, une ressemblance dont la blancheur est le fondement, [la ressemblance de deux choses qui sont semblables en blancheur,] n’est pas la blancheur elle-même et n’est pas non plus une chose autre que la blancheur. »

« En réalité[2], c’est par la même chose qu’un objet, qu’un être créé, possède l’existence (esse) et telle essence (est aliquid) ; mais entre l’existence et l’essence, il y a une différence d’intention, en sorte qu’au point de vue de l’intention, c’est par une chose que cet objet possède l’existence et par une autre qu’il a telle essence. Il a l’existence parce qu’il ressemble à Dieu ; et il a telle essence en raison de ce qui sert de fondement à ce rapport de ressemblance. »

Cette doctrine, nous le savons, est élevée contre celle d’Avicenne et d’Al-Gazâli, qui voit en l’essence une sorte de support, de sujet potentiel, auquel l’existence vient s’adjoindre comme une forme s’adjoint à une matière. Henri de Gand ne cesse d’opposer sa pensée à celle-là. L’essence et l’existence[3], conçues séparément l’une de l’autre, sont, l’une et l autre quelque chose de potentiel ; à ces deux potentiels, la création donne simultanément la réalité objective, la réalité hors de l’intelligence ; par la création de l’objet, l’existence conçue devient l’existence de cet objet, en même temps que l’essence conçue devient l’essence de cet objet. La production de la créature, qui est une image de Dieu, réalise à la fois la ressemblance entre cette créature et Dieu, ce qui est l’existence, et ce par quoi cette créature ressemble à Dieu, qui est l’essence.

1. Henrici a Gandavo Ouod/iôeZa ; quodlib. Xt quæsL VU ; éd. cil., fol, CCCCXVII, recto.

2. Henri de Gand, foc. ctL ; éd. cit., fol, CCCCXVUI, verso.

3. Henri de Gand, Zoc. cit. ; éd. cit., fol. CCCCXVHI} verso.

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