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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

essence, et, d’autre part, une chose, considérée en son essence, ne signifie rien d’autre qu’une certaine abstraction (quid absolutum) ne possédant rien en elle-même qui la détermine à exister d’une manière actuelle ou à ne pas exister. La faculté de concevoir qui est en notre esprit saisit donc la quiddité ou essence d’une chose d’uue manière abstraite et isolée (absolute), sans y impliquer par la pensée aucune condition d’existence ou de nonexistence, non plus qu’aucune condition d’existence universelle ou d’existence singulière…

» Si nous parlons maintenant de l’essence de la créature au point de vue de ce qu elle est réellement en elle-même (quoad ipsam certitudinem ejus in seipsa), je dis que, de cette façon, elle ne se comporte plus du tout d’une manière indifférente à l’existence effective ou à la non-existence effective, si l’on veut entendre par là qu’elle n’a ni l’une ni l’autre mais garde une égale disposition à l’égard de l’une et à l’égard de l’autre. Pour chacune des deux, en effet, on doit formuler une affirmation ou une négation, et l’on ne peut ni les affirmer toutes deux à la fois ni les nier toutes deux à la fois… Sans doute, l’essence de la créature, considérée dans sa notion rationnelle (raZï’one sua), ne se détermine à elle-même, comme nous l’avons dit, ni l’être ni le non-être ; par elle-même, elle n’est ni être nécessaire ni non-être nécessaire ; elle est être possible et non-être possible. Hors de l’esprit et dans les choses singulières, elle a toujours ou bien l’existence, ou bien la non-existence. Enfin, dans l’intelligence, comme nous l’avons exposé, elle a seulement l’être ; cet être-ci, c’est l’existence essentielle ou rationnelle (esse essentiæ vel rationis).

« En toute essence ou nature créée[1], il y a à considérer deux choses : L’essence elle-même, en tant qu’elle est essence, et l’existence actuelle ou subsistance de cette essence.

» Quant à ce qui constitue l’essence, entant quelle est essence d’une manière abstraite, il y a en elle une double indifférence.

» D’une première manière, elle est indifférente à l’existence actuelle et à la non-existence actuelle ; par elle-même, elle est également apte à exister et à ne pas exister, bien qu’elle le soit d’une manière différente. Par elle-même, en effet, et abandonnée à elle-même, c’est la non-existence qu’elle possède toujours. Si elle possède l’existence, c’est en tant qu’elle est un effet de Dieu ;

  1. Henrici a Gandavo Quodlibeta, quodlib. II, quæst. I : Utrum Deus per unam ideam coçuoscat diversa individua ejusdem specici. Ed. cit., fol. XXVIII, verso.