Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
HENRI DE GAND

Dieu. Cette ressemblance tombe en l’essence même de la chose créée, car cette essence de la chose créée, en tant qu’elle est un certain effet produit par Dieu, est une certaine image de l’existence de Dieu. Mais cette ressemblance avec Dieu, par laquelle la créature participe à l’existence, n’est pas quelque chose qui s’ajoute à l’essence de la créature, qui en diffère, qui s’y imprime. »

Tel est le résumé de la thèse d’Henri de Gand. À maintes reprises, au cours de ses Quolibets, il en développe les diverses parties. Citons ici quelques-uns de ces développements :

« Toute essence de créature[1] est quelque chose qui est en paissance d’exister d’une manière actuelle ; quelque chose qui, de soi, n’est rien d’actuel ; quelque chose, enfin, qui ne tient que d’autrui l’existence actuelle… Comme le dit Avicenne, au huitième livre de sa Métaphysique, l’existence lui est, en quelque sorte, accidentelle, car elle la reçoit d’autrui… Or une chose, en ce qui est d’elle-même, peut manquer de ce qui lui est accidentel, puisqu’elle ne le tient que d’autrui ; par cela, donc, que toute essence de créature tient d’autrui l’existence actuelle, elle est, en ce qui est d’cllemême, en puissance de ne pas exister ; et en effet, si le premier Être ne produisait pas l’existence en l’essence des créatures et ne la conservait pas sans cesse, tout aussitôt, il n’y aurait plus, en ces essences, absolument rien qui existât.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

» Voulons-nous parler maintenant de l’indifférence de l’essence à l’être et au non-être en l’entendant ainsi : En fait, l’essence n’a ni l’un ni l’autre ; mais elle se comporte également à l’égard de l’un et a l’égard de l’autre ? Une telle indifférence se peut comprendre de deux manières, selon qu’il s’agit du concept que l’esprit se forme de cette essence ou bien de l’essence réelle considérée en elle-même.

» En prenant la question de la première façon, je dis que l’essence de toute créature se comporte d’une manière simplement ci absolument indifférente à l’égard de l’être et du non-être. En effet, de même que l’universel et le particulier, l’un et le multiple et autres distinctions du même genre sont étrangers à la notion (intentio) de l’essence d’une chose et à ce qui la pose en la réalité (certitudo)…, de même en est-il de l’existence en acte et de la non-existence en acte… Or une chose est apte à être conçue par l’intelligence selon le mode qu’elle possède en son

  1. Henrici a Gandavo Quodlibeta ; quodlib. III, quæst. IX : Utrum sit ponere aliquam essentiam per indifferentiam se habentem adesse et non esse ? Ed. cit., fol. LXI, verso, et fol. LXII, recto.